Nous sommes accueillis par une voix comme apeurée et soudain la foudre, le choc, le cataclysme, non pas un agent d’un pathogène destructeur, mais le maître d’œuvre d’une construction qui ne se fera pas sans le fracas. C’est diabolique, c’est lynchéen, ce sont les squames desséchées et revivant d’une pellicule de Murnau, c’est la traversée d’un tunnel sans lumière, sauf celle que nous espérons. Cette entrée en matière (L’immense) est l’une des plus prenantes jamais entendue, une fêlure qui se creuse sous nos yeux, et dans cette fissure béante va sortir une forme de mausolée, une œuvre architecturale démente qui respire la vie sur les cendres des absences, des vertiges face au vide que l’on ressent quand la nuque nous prévient d’un danger imminent, un saut vertigineux dans l’inconnu.
Il y a eu prés de moi le chaos, ici, après, le chaos, c’est moi, pourrait dire Watine.
La force des mots entame une sorte de lutte contre le son. Mais avec une forme de tranquillité qui s’apparente plus à du courage face à l’adversité, Watine gagne cette bataille, le groupe devant employer les grands moyens pour couvrir le fracas des mots et des maux de la disparition. Ça tape, ça cogne, ça caresse, ça racle au plus profond des âmes, ça expurge, ça arrondit les angles (She Said to herself) prenant une route sur laquelle pourrait surgir une cycliste apeurée.
On joue avec les oxymores (La Froissure du Rêve) car il faut déjouer le piège de l’effroi absolu, conjurer le sortilège qui semble devoir couvrir tout, faire tout renaître sous les cendres. La vie avant tout, même dans les antres d’un endroit où la sérénité ne peut s’acquérir qu’en avançant en canon ( I Will), dans une rue aux ondes dissonantes qui changent l’éclairage, le frisson, la matrice trouvée d’une jeunesse sonique sous une camisole. Enfermée dans un cauchemar (The Queen of Jails) elle y créera son royaume ne pouvant y échapper, pouvant juste le maîtriser. C’est un discours martial et militaire, un positionnement radical. « The Queen of Jails » est démoniaque, elle balaye nos incertitudes, elle dérange les pôles, elle se soustrait à la peur et aux larmes, sans étendards, la poitrine béante, le cœur saignant. « La Pensée » est terrifiante, elle réarrange la géographie et l’espace, elle nous plonge dans la crainte et les tremblements, elle se referme presque, se recroqueville, se collant à ce sol qui a tant souffert, se raccrochant à la vie par l’entremise d’un son nouveau, d’une éclaircie, d’un bourgeon, qui a la force que nous n’avons plus, celle de l’innocence que ce disque tente de retrouver pour croire encore en tout (Everything). Puis finir cette œuvre de renaissance en tentant de faire émerger un mantra salvateur sous un mur de scories sonores, comme un nuage de sauterelles qui détruiraient tout, laissant sur leur passage la désolation. La « Disparition » tente de conjurer celle-ci tout le long de ce disque prenant qui s’écoute religieusement, oscillant entre ouverture minimale et obscurité totale. Le lien entre Intratextures et Watine est évident, chacun à sa façon tentant d’épauler l’autre, sans complaisance et pause arty, un disque d’une âme qui ne désarme pas, mais qui s’impose une lutte entre les mots et l’urgence du son, ne se brûlant jamais au contact de la friction de ces deux éléments. Un choc musical et esthétique.