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Il y a quelques semaines sortait le deuxième numéro de Langue Pendue, un fanzine papier à l’ancienne, Old School et Do It Yourself comme il y a 30 ans, époque où son créateur Renaud Sachet a commencé son activité clandestine de journalise amateur, armé d’un simple stylo et d’une photocopieuse. Et si ce fanzine, et notamment son deuxième numéro a retenu mon attention, c’est justement parce qu’il est consacré à un label français primordial de cette époque des early 90’s, celui qui lança Dominique A et Michel Cloup, posant les bases de ce qui révolutionnera le rapport entre rock et langue française. C’est également ce même label qui publia en 1996 la chanson qui donnera le nom à notre webzine, le Lithium de Vincent Chauvier.

C’est pour moi l’occasion inespérée de remettre un peu de lumière sur quelques disques mésestimés ou oubliés qui occupent pourtant une place de choix dans ma discothèque. Si le son et la production peuvent parfois sembler quelque peu datés, les compositions sont toujours aussi imparables, les albums restent toujours aussi fondateurs.

Avant Diabologum et Dominique A, il y avait Lucievacarme, quatuor toulousain influencé par les scènes naissantes du Shoegaze et du Grunge, au sein duquel Michel Cloup officiait déjà à la guitare. Metalvox, leur premier maxi sort en 1991, juste avant l’explosion mondiale de Nevermind. C’est la deuxième référence du label. Résolument noisy et francophone, cet EP injustement méconnu pose pourtant une pierre angulaire : les débuts prometteurs d’un label, mais aussi d’un groupe (et notamment d’un de ses membres, Michel Cloup), mais également les prémices d’une nouvelle façon d’envisager le rock français. Ses guitares saturées associées au chant lancinant David font de Lucievacarme une sorte de cousin hexagonal de Dinosaur Jr (voir leur reprise de Freakscene sur cet EP). Le groupe sort l’année suivante leur album Milky Way, et fait les premières parties de Teenage Fanclub, Lush ou Stereolab. Thurston Moore a qui Michel a envoyé le premier EP les invite à ouvrir pour Sonic Youth à Marseille fin 92. Ce sera le dernier concert du groupe avec Michel qui part se consacrer à sa nouvelle formation : Diabologum.

Interviewés pour Langue Pendue, David (chanteur guitariste) et Valery (batteur et photographe du groupe) reviennent sur les débuts de l’aventure, commencée à la fin des années 80 sous le nom des Sales Gosses, jusqu’au dernier concert du trio post-Cloup en 94.

En 1992, Lithium sort également le premier album d’un chanteur timide à la voix haut-perchée, chevrotante et fragile, sur fond de cold wave lo-fi jouée au bontempi et de guitares saturées. C’est La Fossette, la 3° référence du label et le premier album de Dominique A, le premier d’une longue et passionnante discographie, et dont les 4 premiers sont sortis chez Lithium. Dans la foulée parait Begining Blue, le premier EP de Candle (qui deviendra Carmine l’année suivante), un 4 titres surprenant d’originalité et de maturité, avec des guitares dissonantes en son clair à une époque où Jesus & Mary Chain et My Bloody Vanlentine mettent les pédales de distorsion en série et concluent leurs concerts par 1/2 heure de larsen.

1993, l’envol de Michel Cloup. Il sort à la fois le premier album de Diabologum et son premier album solo. Si C’était un lundi après-midi semblable aux autres reste un peu difficile d’accès, bidouillages un peu brouillon, entre chansonnettes naïves et grunge expérimental, Peter Parker Experience est un album attachant, une pop lo-fi inspirée par Daniel Johnston et Lou Barlow, comme Michel le confie à Langue Pendue. Plus abouti, Le goût du jour sort l’année suivante, mais c’est véritablement avec #3 paru en 1996 que le talent d’écriture de Michel Cloup et Arnaud Michniak est réellement révélé. Avec son chant parlé, entre slam et phrases glanées au hasard, scandées de manière urgente ou désabusée, ses guitares saturées mêlées à des samples minimalistes ou expérimentaux, Diabologum révolutionne le rock français qui se limite alors au 666.667 Club de Noir Désir qui vient de sortir.

Le groupe splitte 2 ans plus tard, mais il a posé les bases d’un nouveau Spoken Word à la française qui se perpétuera avec les projets des deux protagonistes à savoir Expérience et Programme sur Lithium, puis Nonstop et Michel Cloup Duo, et qui inspirera des opportunistes tels que Fauve.

Mais Lithium ne s’arrete pas à Michel Cloup et Dominique A, comme le rappelle Renaud dans Langue Pendue et qui interviewe également Françoise Breut, Pascal Bouaziz et Noël Akchoté (Mendelson), et Armelle Pioline (Holden). Je partage également son regret face au silence radio de Vincent Chavier, le père fondateur du label, dont le fanzine retranscrit néanmoins un entretien avec Jean-Fabien Leclanche publié par Le Bulletin vers 1993.

Je pourrais donc conseiller aux fans de Dominique A de la première heure ou de Diabologum de se procurer au moins ce 2° numéro de Langue Pendue, tout en surveillant assidûment la sortie du n°7, la suite des années Lithium. Mais je vais plutôt conseiller à tout le monde de se procurer l’intégrale, le 4 et le 5 viennent de sortir avec au programme : LL❦, Maria Violenza, Trotski Nautique, Thousand...

Renaud Sachet a accepté de répondre à quelques questions indiscrètes. Interview de l’intervieweur :

[ADA] J’ai cru comprendre que Langue Pendue n’était pas ton premier fanzine. Pourrais-tu nous faire un rapide résumé de ton curriculum vitae ?

[Renaud Sachet] Exercice fastidieux, surtout pour celui qui va le lire (rires). J’ai commencé à écrire des fanzines au tout début des années 90, où on échangeait avec quelques personnes nos œuvres par courrier. Il y a eu Everyday Is Like Sunday, mon tout premier fanzine, écrit à la main. Puis j’ai écrit pour mon ami Jacques dans Bonjour chez vous. Il y eut ensuite, au milieu des années 90, Guiding Star, où j’ai interviewé Diabologum par courrier, puis Super G, exclusivement consacré à la scène de Glasgow (Pat Laureate, Policecat et les Pastels, bien sûr). Aucun de ces fanzines n’a dépassé trois numéros, je dois préciser, c’est aussi à peu près le nombre de leurs lecteurs, d’ailleurs (rires). Musicalement, je me suis amusé dans les Molies, puis Buggy, puis Luneville, dans l’ordre, et en parallèle, je me suis occupé seul du label Antimatière et, avec des camarades, du label Herzfeld. Tout ça, groupes et labels, j’ai arrêté il y a 7 ans, pour souffler et penser à autre chose, réécouter des disques, juste pour le plaisir. Et il y a quelques mois, je me suis mis à l’écriture de Langue Pendue.

[ADA] Concernant Langue Pendue, tu es seul à gérer ta petite entreprise ? Quelles sont tes projets concernant ce fanzine DIY à plus ou moins long terme ?

[Renaud Sachet] : L’idée, c’est que j’écris et je fais les entretiens, après mon amie Julie (qui fait de la musique incroyable, il faut le répéter, sous le nom de Lispector) fait la mise en page. En fait, c’est elle qui m’a motivé à fond sans le savoir, en dessinant très tôt ce petit logo qui tire la langue, et qui me fait toujours rire. L’équipe s’est un peu étoffée, de façon informelle, avec Mikaël, Etienne, Chop… à qui je donne des tâches diverses, comme un petit rédacteur en chef. En ancien lecteur du NME et du Melody Maker des années 90, je rêve d’un grand journal de papier qui paraîtrait toutes les semaines, avec des illustrations, des photos magnifiques pleine page et des textes renversants sur des sujets fous, des grands entretiens avec des jeunes groupes, du patrimoine abandonné remis en valeur (et des cassettes audio en bonus de temps en temps), des plumes acérées mais justes, de la mauvaise foi aussi, des scoops...

[ADA] Y-a-t’il une ligne éditoriale (style musical, préférence nationale...) ? Comment choisis-tu les thèmes, les artistes ? Qu’est-ce qui a initié sa création ?

[Renaud Sachet] : Oui. Il y a une ligne éditoriale. J’évoque la musique à travers les textes que j’essaie de mettre en valeur et je me concentre sur la musique chantée en français. Ce qui ne veut pas dire musique française. Par exemple, au sommaire de LP4, on trouve Domenique Dumont (un groupe letton qui chante dans un français étrange) et Thousand (un garçon qui écrivait avant en anglais avant de le faire en français pour son dernier disque). Il y a des numéros plutôt historiques (Kid Vynnyl, sur le label Lithium, …), ou je revisite des choses qui m’ont marqué, et il y a des numéros avec une actualité récente, où j’essaie de parler de choses nouvelles qui me marquent maintenant (LL❦, Maria Violenza, Yves Bernard, Mili et dYmanche, Aya Nakamura, Trotski Nautique, Thousand, Taulard,…). Je fais ça de façon instinctive, quand j’écoute un truc sur le net, ou en concert et que ça me parle, j’y vais. Pour le côté patrimoniale, j’ai développé des vieilles obsessions, que j’avais envie de mettre en mots. J’ai adossé au fanzine aussi un mini label de cassette : d’un côté des rééditions (Kid Vynnyl), de l’autre, des jeunes, du présent (LL❦). Je vais essayer de garder cette dialectique. Langue Pendue est presque de l’ordre du journal intime, Nicole, ma fille de 11 ans, dirait un « Bullet Journal » ? Quant à sa création, c’est une longue histoire qui vient de discussions que j’ai depuis 30 ans avec un ami et qui reviennent obstinément sur notre langue d’expression. Langue Pendue est une étape de cette discussion, où j’ai tergiversé, fait fausse route, changé d’avis et retourné ma veste (rires).

[ADA] Concernant "Les Années Lithium", qu’est ce qui a déterminé le choix de ce label ? J’ai cru y voir une histoire personnelle intime.

[Renaud Sachet] : Pas si intime que ça en fait. Même si j’ai pu croiser certains protagonistes de cette histoire, je n’étais absolument pas partie prenante de l’histoire du label de Vincent Chauvier. Ce qui d’ailleurs me permet d’aborder ça de façon distante et sans trop d’affectif, si ce n’est pour les disques évidemment. Et là, il y en a beaucoup : Diabologum bien sûr, le #3 qui fut un choc, mais le #1 (C’était un lundi…) et le #2 (Le goût du jour). Et par-dessus tout, les trois disques de Programme pour Lithium (Mon cerveau dans ma bouche, Enfer tiède, et Génération finale dans une moindre mesure). C’est très simple : je considère Arnaud Michniak comme l’un des auteurs les plus injustement méconnu de ce pays. Ce n’est pas grave, je pense que lui-même s’en fiche, mais quand même, il suffit d’écouter Et la ville disparaît pour se dire qu’il se passait quelque chose de fou dans ces disques, et je n’oublie pas la mise en son/musique de Damien Bétous.

[ADA] Y- aura-t’il un Langue Pendue "Les années Rosebud" ?

[Renaud Sachet] : Non, Rosebud n’est pas en soi une entité qui m’a marqué, même si Katerine a sorti des beaux disques sur le label. Tiens, un dictionnaire sur Katerine, avec une entrée Rosebud. Oui. Et je prépare un lourd dossier sur les Little Rabbits aussi, leurs chansons en français préfigurent un truc un peu sauvage, décomplexé, simple dans l’expression, un truc qu’on retrouvera chez Katerine au moment de Robots après tout. Les Little Rabbits, sur scène, ils me foutaient les jetons, c’était les gars qui venaient de la périphérie pour me bousculer, me vanner et draguer mes copines (rires). Derrière leur côté pop, ça avait pas l’air de rigoler.

[ADA] Tu en es déjà au 5° numéro je crois, as-tu déjà des idées pour tes suivants ?

[Renaud Sachet] : C’est un vrai casse-tête : il y a 150 possibilités en même temps, et je me déborde moi-même. Pour le 6, c’est calé, scoop : Côte Ouest, Noisy pop et Anorak pop en France, 1990-95. Il y aura une cassette et un fanzine lié. Pour le 7 aussi, si tout va bien : il s’agira des Années Lithium, volume 2. Pour le 8, c’est en route avec une tête d’affiche surprise (et au sommaire Joseph Fischer, Thomas Pradier, Trottoir, Shay j’espère…). Il est question d’un LP9 aussi sur des questions de cinéma, je n’en dis pas plus, un LP10 sur une chanteuse que j’adore. Si les finances suivent, il y aura des cassettes aussi.

[ADA] Comment se les procurer ? Vas-tu mettre en place un système d’abonnement ?

[Renaud Sachet] : A priori non. J’ai déjà géré un système d’abonnement pour un label, et c’est l’enfer. Trop de pression (rires). Mais sait-on jamais. Par le site principalement : languependue.com, et le fil FB de mon profil perso pour avoir des nouvelles régulières.

=> https://www.facebook.com/renaud.sachet



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