Comme à chaque fois, l’écoute d’un album de TvB plonge l’esprit dans un espace-temps particulier. Comme à chaque fois, assister à un concert de TvB est une expérience sensorielle unique, où l’on s’échappe avec lui du quotidien pour atteindre un ailleurs si beau et familier. Comme à chaque fois, échanger avec TvB s’avère simple et évident tant il se montre affable et sincère dans ses réponses.
2 jours plus tôt à Lyon, nous avions pu découvrir son nouveau set, accompagné par un batteur/guitariste allemand. Voici l’entretien qu’il nous a accordé au 109 à Montluçon, quelques minutes avant son concert.
ADA : Pourquoi la sortie du nouvel album a pris aussi longtemps depuis …is with the demon ?
Troy : Ah, il y a eu combien de temps entre les 2 ?
ADA : 3 ans et demi.
Troy : (essaie de se remémorer…) En fait je n’en ai aucune idée ! Je crois qu’il n’y avait pas de raison de se presser. Je me suis dit que ça n’avait pas d’importance, que je n’avais pas besoin de faire un album par an, ou tous les dix ans… ou d’en refaire un tout court. J’ai juste commencé d’y penser après avoir tourné, et quand j’ai senti que j’avais les chansons. Je n’ai pas eu le sentiment de prendre mon temps. Habituellement, quand tu tournes toute l’année, et que tu sais que tu dois sortir un album l’année suivante, tu dois écrire en même temps, te dépêcher, etc. Je n’avais aucune pression.
ADA : en 2013, il y a aussi eu une tournée avec Chokebore pour le 20e anniversaire de Motionless…
Troy : Ah merci de me donner la réponse ! (rires) J’ai tourné avec TvB et Chokebore et d’autres projets [ndlr : il y a eu aussi The Color Bar Experience en 2015], j’ai été bien occupé.
ADA : Pour cet album, tu as utilisé un 8 pistes à bandes, c’était nouveau pour toi, peux-tu nous parler du processus d’enregistrement ?
Troy : Sur les précédents albums, je faisais une ou 2 chansons dans mon home-studio, pour celui-ci j’ai décidé d’enregistrer cet album moi-même. Je voulais quelque chose de vraiment honnête et intime, capturer la façon dont ça sonne dans mon appartement à Berlin. Du coup, on peut entendre en fond des gens marcher dans les escaliers, le voisin crier parfois, j’ai un voisin fou [ndlr : il l’imite…], sur tout l’album, il y a beaucoup de bruits en arrière plan. Donc je l’ai fait petit bout par petit bout, c’était très intense, très dur, mais j’ai beaucoup aimé le faire et j’aime la façon dont il sonne, parce qu’il est exactement comme je voulais qu’il soit : des chansons personnelles, faites de manière honnête, sans aucune influence extérieure. On a fait des prises de batterie dans le studio d’un ami [ndlr : Coxinhell studios, St Aygulf, Var], mais on n’a utilisé qu’un seul micro. Je l’ai mixé moi-même aussi, et j’ai aimé le faire. Ça m’a pris beaucoup plus de temps parce que j’étais aussi l’ingé son, mais j’ai aussi beaucoup appris, la manière d’enregistrer les instruments, le matériel pour enregistrer, tout ça… j’aime enregistrer ! Mais quand tu enregistres tes morceaux toi-même, ça prend beaucoup de temps : il faut d’abord brancher le micro, trouver le bon son (ce qui peut prendre une paire d’heures). Une fois que tu as trouvé une partie guitare, il faut d’abord trouver le son, placer dans un sens, dans l’autre, brancher de telle ou telle manière… et une fois que ça sonne exactement comme tu veux, ce qui a pris des heures et des heures, tu te sens tellement fatigué que tu n’as plus envie de jouer de guitare du tout. C’était très stimulant et très intense pour moi. Comme je l’ai dit précédemment, il n’y avait aucune raison de faire un autre album, je l’ai fait pour moi, par pour quelqu’un d’autre, je n’écris pas la musique pour que les gens l’écoutent, l’aiment, pour une quelconque carrière… Pour moi c’est mon album le plus honnête et le plus pur.
ADA : est-ce que dans le fait de tout faire toi-même, tu as eu des moments où tu as perdu l’inspiration ?
Troy : C’était difficile mais ça n’a pas coupé mon inspiration, je voulais me prouver que je pouvais le faire, que le résultat soit beau, en m’occupant de chaque son, chaque élément, en prenant le temps d’empiler les couches de son. Quand on pense qu’il y a 13 titres, ça a pris beaucoup de temps. Il n’y avait pas de moment où je manquais d’inspiration, je voulais faire ça plus que tout au monde, mais il y a eu des moments de découragements très brefs, dans mon esprit. Si tu aimes quelque chose et que tu le fais, et que tu ne rencontres pas de succès extérieur, il faut que tu aimes vraiment profondément ce que tu fais. Rien n’est plus important pour moi. Je devais le faire, l’écrire, l’enregistrer, juste pour mon propre salut. Parce que la vie est dénué de sens, j’avais besoin d’un endroit pour trouver du sens, même si ce sont de courts moments. C’est comme construire ta propre ville dans ta tête… Donc je me regardais, et me demandais "Est-ce que j’ai une profondeur, suis-je encore intéressant, en dedans ?" Ce que j’ai fait, c’était comme entrer dans une maison, et trouver de nouvelles pièces, à différents niveaux de la maison, traverser des pièces et percer les murs et trouver d’autres pièces, des pièces dans des pièces dans des pièces… C’est très difficile de faire ça à soi-même, d’explorer très profondément. C’était mon expérience personnelle, je suis sûr que personne ne peut imaginer ça en écoutant l’album, il se dira simplement "j’aime ce titre, pas celui-là…". Mais pour moi c’était ça, regarder là et se demander s’il y a quelque chose, si ça vaut la peine, s’il y a un mouvement, comme s’il y avait un animal… C’était compliqué dans mon cerveau, c’était un voyage intéressant, et à la fin, je me suis senti bien avec moi-même, fier de moi. Je sais qu’il faut que je le sois, parce que personne d’autre ne le sera à ma place. C’était intense.
ADA : Knights of Something est sorti dans bien plus de pays que les albums précédents : comment ça s’est passé ? Est-ce que tu envisages de tourner dans ces pays (Japon, Royaume-Uni) ?
Troy : C’est arrivé parce que j’ai décidé que je voulais trouver d’autres partenaires dans d’autres pays. Donc je suis allé sur internet et j’ai cherché des partenaires dans le monde : j’ai écrit à des gens au Japon, aux États-Unis, et certains ont dit oui, d’autres non… Je ne peux pas me permettre de tourner au Japon car c’est très cher, je vais faire quelques dates au Royaume-Uni sous peu [ndlr : c’était début décembre 2016], c’est également très coûteux pour moi, mais ça va être cool de le faire. Idem pour les États-Unis, c’est trop coûteux. Le type au Japon m’a dit : "Oui, tu peux venir tourner ici, mais on ne peut pas te garantir que tu gagneras de l’argent". Je lui ai demandé : "Combien tu penses que ça me coûterait si je venais ?" Il m’a répondu : "Oh, dans les 5000 € pour une semaine". Bon, ok, continuons par email alors…
Mais c’est cool d’avoir une distribution plus large, par contre, je ne pense pas que ça change grand-chose pour moi. Au Japon, ils ont vendu environ 2000 CD, dans des grands magasins.
ADA : Avant hier [et le soir même également, ndlr], tu as joué une chanson de Leonard Cohen, vous étiez amis, non ? Tu as même enregistré le titre Tropical dans sa cuisine !
Troy : C’est triste qu’il soit mort. C’était un homme très cool. J’étais chez lui l’an dernier, et même dans ses dernières années, à plus de 80 ans, toutes les nuits, il jouait de la musique. C’était horrible parce que je ne pouvait pas dormir, mais c’était beau, un homme de cet âge aussi inspiré, je l’entendais prendre sa guitare acoustique et c’était d’une beauté, ça traversait les murs, c’était obsédant, envoûtant. Il jouait de la musique chaque jour, et pour moi c’était très chouette à voir. Certains ont de l’espoir, de la foi, je n’ai ni l’un ni l’autre, j’aimerais bien ruser pour trouver un moyen de continuer et faire ça toute ma vie. Je pense que c’est beau d’entendre un vieil homme chanter et jouer de la guitare, parce qu’il n’avait pas à écrire des chansons, mais il était plein de musique et de créativité.
ADA : Comment as-tu rencontré ton batteur / guitariste, Leon ?
Troy : On s’est rencontré à Berlin par l’intermédiaire d’un ami qui joue dans le groupe allemand Tocotronic. Leon était à Berlin, c’est un type cool, alors nous avons essayé de jouer ensemble. On a répété durant un mois seulement, on a tout réécrit, et on est parti en tournée. On est toujours en train d’apprendre à se connaître.
ADA : Certaines chansons jouées en concert sont parfois difficile à reconnaître. Est-ce une façon de raconter la même histoire de manière différente, ou de ne pas s’ennuyer… ?
Troy : C’est une manière d’être créatif avec ce duo, ce setup : jouer les chansons de la même façon serait ennuyeux. Il fallait que je casse les choses, et réécrive les structures pour que ça colle. Et en fait, c’est assez cool, essayer et essayer encore, c’est comme écrire de nouvelles chansons.
ADA : À ce propos, on a entendu 2 nouvelles chansons durant le concert à Lyon : peux-tu nous en dire plus ? Est-ce qu’il y a déjà des chansons enregistrées ?
Troy : J’ai déjà enregistré 4 chansons du prochain album, l’une d’elle va sortir sur un split EP avec H-Burns, au printemps, je crois. J’ai aussi enregistré une voix pour un titre de Narrow Terence et j’ai collaboré avec Panda Electric Garden. J’ai beaucoup de nouvelle musique. Après cette tournée, je retourne enregistrer ! J’enregistre toujours avec le 8 pistes, mais je vais essayer de déménager en France, alors ça va sans doute changer des choses.
ADA : Pour revenir aux concerts, quand on te voit jouer, c’est comme si on pouvait attraper le monde que tu crées dans ton esprit, c’est juste beau…
Troy : Oh merci ! Mais on ne peut pas le conserver, c’est mon problème. J’adore jouer live, et c’est comme si je sortais de mon corps. Tout n’est pas horrible dans ce monde, mais c’est dur de le comprendre. Je me sens comme le faucon qu’on voit dans les voleries avec ce truc attaché au pied, quand je joue j’essaie de m’envoler mais je reste attaché.
ADA : Tu as déjà écrit 2 livres de poésie, y a-t’il du neuf à venir ?
Troy : Quand j’ai sorti mon dernier livre de poésie, l’imprimeur m’a envoyé 5000 exemplaires à mon appartement, dans une grosse caisse en bois. Wow, c’est beau, c’est chouette de voir ce livre que j’ai écrit, là devant moi, que je peux tenir. Je l’ai ouvert, je l’ai lu pour la première fois du début à la fin, je l’ai fermé et je me suis dit : oh, je ne suis pas un très bon écrivain. Je l’ai reposé, et je n’ai rien écrit depuis.
J’ai beaucoup pratiqué d’arts dans ma vie, je fais des albums depuis près de 20 ans, ça fait beaucoup de chansons, beaucoup de concentration, d’amour. Mais combien de temps vais-je pouvoir le faire ? Je ne sais pas. Mais avoir assez de concentration pour écrire un livre… ? Je comprends ce qui s’est passé quand j’ai sorti ce livre, j’en ai toujours 4000 à mon appartement, au sous-sol, et chaque jour je pense à les mettre dans la poubelle papier (parce que c’est mieux pour l’environnement), mais je ne le fais pas parce qu’ils sont trop lourds à transporter.
Je sais que je peux faire encore mieux, de meilleures chansons, de plus en plus belles, mais c’est dur de faire face à la réalité (comme payer son loyer), j’ai beaucoup essayé, et c’est difficile de trouver l’énergie nécessaire. Je ne suis pas comme un drogué, comme si je m’en foutais, je suis conscient du monde et de ma situation. Je suppose que si j’étais croyant, je ferais une quête spirituelle ou dans le genre. Posez-moi la question l’année prochaine, peut-être que j’aurai la réponse.
ADA : Ton merch est assez surprenant et beau : des badges en bois gravé, des crayons de papier, des sacs… d’où ça vient ?
Troy : C’est Flavie, qui a déjà fait l’artwork de l’album, qui a réalisé ces badges et les crayons. Elle fait ça très bien ! C’est une personne qui m’a beaucoup aidée durant l’enregistrement, je lui ai dit des choses sombres et dépressives, et elle m’a donné de la force, m’a encouragée à continuer. Nous sommes amis, elle en France, moi à Berlin, et elle me soutient par ses mots. Elle est très cool, une artiste talentueuse, et elle tient un chouette restaurant végétarien à Rennes (Petite Nature). On y mange très bien !
ADA : Tu as joué avec de nombreux artistes et groupes ces dernières semaines, as-tu découvert de belles choses ?
Troy : Oui, il y a eu de chouettes groupes, comme le groupe Arlt qui jouait à Lyon… Emilie Zoé aussi, c’est une très bonne guitariste.
ADA : Est-ce que tu écoutes toujours aussi peu de musique ? Ou ça a changé ?
Troy : J’en écoute de temps en temps, mais je n’en ai jamais beaucoup écouté. Même quand j’avais 15 ans, je n’achetais pas de disque. J’écoute un peu ce qui passe.
ADA : C’est assez rare pour un musicien…
Troy : Vraiment ? Non je pense que c’est comme pour un boulanger, quand il fait des donuts toute la journée, il n’a pas envie d’en manger en rentrant chez lui, il ne mange que de la salade ! Oui, je pense beaucoup à la musique, parfois j’aime entendre d’autres choses, mais de façon limitée.
PAR & FLK / photos FLK