C’est un cd qui craque, c’est un son que l’on ne tente pas d’apprivoiser, ce sont des ondes qui arrivent qui rebondissent que nous tentons de déchiffrer mais qui finissent par nous dresser, que nous suivons. Delphine Dora et Half Asleep avaient déjà travaillé ensemble en liberté totale, en quasi improvisation, dans le carcan grisant de la liberté. Delphine Dora était la maitresse des lieux, et les Unexpected qui l’accompagnaient se composaient déjà d’Half Asleep mais aussi de Jullian Angel, que nous retrouvons d’ailleurs ici sur un titre. Un album à quatre mains, à deux voix, mais aux plumes plurielles, pour les textes (Samuel Beckett, Sarah Kane, Brian Evenson….) mais aussi pour composer des ailes de liberté. « You’re not mad, You’re Just Lonely » est avant tout un disque décadent au sens premier du terme, le déclin de la main mise du concept et de la production au profit de la réalisation instinctive, presque animale. En cinq jours les treize morceaux étaient en boite (une hérésie d’employer ce mot pour quelque chose d’aussi libre) et pouvaient rencontrer le monde, ne plus être seuls. Le disque semble nous arriver tout droit d’un manoir, peuplé de fantômes qui peuplent surtout nos têtes. Il pourrait se situer entre le néo réalisme et le cinéma tout en retenu sadique de Alejandro Amenábar pour « Les Autres ». Le disque craque de partout, le bois étant sa matière première, et nous fissure au fil des écoutes. Car si l’évidence est l’apanage de la facilité, nous pourrons, sans nous (vous) mentir dire que ce disque est tout sauf facile, qu’il réclame de l’attention (qu’il convoque sans peine) qu’il vous ballade dans une dimension tout autre (la simple écoute de « Body And Soul Can Never Be Married » est une expérience presque unique). Déroutant car ne répondant pas à des structures validées par les bergers de la musique facile, ce disque (projets ?) est à prendre comme un instant rare, moment pendant lequel la musique a la liberté de conduire des mots dans un ailleurs totalement étranger. On frissonnera longtemps au moment de remettre le disque en attentant « I Can’t Do Anything (They’re Everywhere) » à la lisière de la folie, de revivre ce moment unique d’une rencontre en marge du monde.