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Et si Bela était le secret mieux gardé de la scène souterraine française. Si ce secret était d’ailleurs volontaire, faisant inconsciemment presque partie de la démarche artistique, même si là j’ai un gros doute. Difficile de trouver une page internet sans une épure quasi monacale, difficile de trouver des mots sur une feuille de presse qui ne pourrait peut être que fragiliser l’opinion du chroniqueur, voir le rendre oisif. Bela va monter l’exercice de camouflage au rang d’art en sortant un troisième album au packaging tout blanc, des étoiles et les informations lisibles par les jeux de lumière. L’objet est d’ailleurs une des premières caractéristiques des disques de bêla. Après deux premiers efforts dans un fourreau en papier cartonné orné d’inscription en lettres d’or, « Ghostwriting » est immaculé de blanc hormis donc des lettres ou dessins blancs, au relief léger.

Et la musique dans tout cela me direz vous. Il ressort des écoutes multiples de ce disque, l’agréable impression d’avoir passé du temps avec un érudit rock passionné, qui au grés de 11 morceaux nous ferait découvrir un versant plus ténébreux de l’histoire de la musique, une approche plus cérébrale sans être intellectualisée. Les 11 titres sont autant d’entités différentes, autant de moments avec comme exigence de faire passer de l’émotion par le prisme d’un filtre plus précis, quitte à ne rien laisser passer au premier coup d’œil. Il y a dans cette démarche supposée une posture peu commune presque religieuse de retrait de recul, "prenez ceci est ma musique, moi je vais rester dans l’ombre, mes mains sont marquées par les heures de fouilles mais c’est ainsi qu’une œuvre doit naitre, dans la douleur, l’abandon de soit". Tout pourrait être résumé sur le titre le plus tranchant de ce disque « A To Make A Long Story Short ». Dans ce titre de Joy Division au Gang Of Four on se ballade vers une histoire à la fin affirmée et suspectée de donner le rythme. Il y a dans ce titre autant de l’histoire avec un grand H que dans toute l’œuvre discographique d’un Beck qui lui revisite plutôt que de contempler et de s’imprégner. Didier Colette y psalmodie un texte avec une froideur tout en retenue, comme si sa fin à lui aussi était sous entendue. « To Make A Long Story Short » porte aussi peut être la croix du disque en son entier, comme si la tension ressentie se concentrait en un titre que Bela devait porter le plus rapidement possible vers sa fin. Car les 10 autres titres de « Ghostwriting » n’affichent pas la même énergie électrique (« A beast » en est le moment clé), mais ils transportent probablement plus de tension encore. D’obédience plus rock blanc tiré à quatre épingles devant, mais déglingué à l’intérieur, Bela fait cohabiter dans un disque peut être un rien schizophrène, des obsessions qui avaient fini un jour d’avoir la peau de Kat Onoma, et nous ne lui souhaitons pas la même fin.

On rêve qu’une lumière éclaircira l’obscurité qui laisse ce disque lumineux, injustement dans une vallée d’indifférence, alors que « Ghostwriting » est un témoignage poignant et intransigeant sur la nécessité de freiner ses pulsions premières et animales et d’en faire une création imprégnée de la lumière des musiques souterraines. Un disque à l’anonymat assourdissant.




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