> Interviews



Son 3ème album éponyme refermant le triptyque de Klokochazia est sorti le 8 juin, ADA est fier de vous présenter la première partie de l’interview qu’il nous a accordé.

...J’arrive en retard dans les studios d’ Universal, Benoît, l’attaché de presse me glisse dans l’ascenseur qu’il me reste 10 minutes pour faire mon ITW... Nosfell arrive, me complimente sur mon t-shirt Dirty Projectors, il a le même en blanc, mais semble apprécier la version verte. On s’installe, Nosfell se montre disponible et décale sa séance photo pour notre plus grand plaisir...

Peux tu me raconter le départ de Nosfell, ses racines, ton métier de caviste ?

JPEG— Je suis arrivé au métier de caviste, car je ne savais pas quoi faire et je commençais à faire des conneries, j’avais des responsabilités en famille, car j’ai 2 frères et une soeur, j’ai 10 ans de différence avec ma petite soeur et 13 avec les jumeaux. J’ai aidé ma mère, car mon père a disparu quand j’avais 13 ans, à la naissance des jumeaux. Je me suis occupé des jumeaux comme de mes enfants et je devais trouver du boulot alors que j’étais ado, je suis tombé alors sur un caviste qui m’a pris pour passer les commandes et travailler dans sa cave. Il s’est attaché à moi et est devenu mon père spirituel, pendant 6 ans il m’a appris un métier, c’est une personne entière qui a ses qualités et ses défauts, très égoïste, mais aussi généreux dans la transmission de ce métier. Il me demandait au début de passer le balet, ensuite j’ai commencé à servir les clients. J’ai claqué la porte, car je n’y arrivais pas. En fait, j’ai réalisé grâce à lui que j’avais des difficultés à être sociable. J’ai réussi finalement à trouver le plaisir de servir les autres, d’abord en les séduisant, j’avais envie de plaire, mais je manquais de confiance en moi. J’aimais apprendre à servir, mais aussi le vin, je travaillais dans un environnement riche, vivant et organique en constante évolution. Je me suis donc passionné pour ce métier afin que Jean soit fier de moi comme un père. Je voulais gagner sa confiance et je cherchais à progresser pour lui. J’ai vraiment eu de la chance qu’il me prenne sous son aile. Je continuais la musique en parallèle, même si on faisait de très grosses semaines, je jouais pendant mes vacances. Un jour j’ai donné ma démission, car je suis tombé amoureux et je suis parti au Japon.

As-tu toujours composé tout seul, ou as-tu eu aussi des groupes dans ta jeunesse ?

— J’ai eu un groupe avec Edouard Bonan qui est mon ingé son. Quand on était ado, j’enregistrais des bruits de guitare sur un radio cassette, je pitchais ma voix en mettant un micro sur l’appareil, je faisais des cris par dessus, c’était marrant de commencer à jouer en déstructurant la musique. Plus tard, j’ai écrit des chansons, que j’ai enregistrées sur le 4 pistes que m’avait prêté le père d’un pote. Je lui ai rendu cassé, et je me suis fait salement engueulé à juste titre.

Ces compositions sont-elles écrites en Klokobetz ?

— Ces chansons sont écrites en anglais, oui et non... ...En fait le Klokobetz, c’est un langage qui vient de mon père. Il était très étrange, je me souviens qu’il me réveillait la nuit pour me parler dans des langues que je ne connaissais pas. Il parlait beaucoup de langues, je l’écoutais attentivement, mais je ne pouvais communiquer avec lui sans comprendre ce qu’il disait. Mais avant de partir, il m’a laissé 7 mots, de manière absconse, comme une sorte de message cabalistique, sans jamais en parler, je le portais toujours sur moi, comme un fétiche. Je voyais des psy au CPAM, mais pas le même à chaque fois, car on est un patient, pas un client tellement l’affluence est concentrée sur ces soins. Mais, un d’eux m’a expliqué qu’il y avait une clef dans ce message qui me permettrait peut-être de me débarrasser de l’image négative et néfaste de mon père, en donnant un sens à ces mots, même de façon arbitraire. C’est comme ça qu’est né le Klokobetz, je leur ai donc trouvé un sens de manière allégorique, pour parvenir à les confronter, les rendre concrets, cela m’a permis aussi de m’en détacher et de me laisser vivre... Ces 7 mots avaient un sens détaché du matériel, plutôt rattaché à des sentiments, une fois que j’ai eu assigné un signifiant à chaque son, j’ai pu les imbriquer et les glisser dans mes chansons. En étudiant les langues, je me suis amusé de la syntaxe, j’ai fait fructifier le vocabulaire en prenant en exemple la parabole des talents, j’ai découpé ces mots en les agençant les uns avec les autres pour en créer de nouveaux en m’inspirant de la grammaire allemande et de ses fameux mots valises. Mais comme je ne voulais pas aussi que les mots soient trop longs, j’ai créé des techniques de contraction, mais des techniques précises afin que je puisse toujours m’y référer et surtout rester cohérent. Cela m’a pris énormément de temps, car je n’étais pas doué à l’école, j’avais une fascination pour la méthode à tel point qu’elle me paraissait inaccessible. C’est pour cela que j’étais très mauvais en math alors que j’adorais ça, malheureusement on demande jusqu’au bac d’emmagasiner des connaissances, ça me terrifiait, je perdais un temps fou à tenter d’acquérir cette rigueur, j’avais des tocs de ponctuation à l’écrit. Mais en parallèle le Klokobetz que je construirais en sous terrain me rassurait, car je maitrisais ma méthode. Grâce au système allemand d’enclise en début de phrase, la place du COD ou du sujet est assez libre pour avoir une souplesse dans la musicalité. En revanche, les adverbes ne peuvent pas être placés n’importe où dans la phrase, c’est très important pour moi d’être dans une cohésion en terme de sens, il faut qu’il y ait pour ces 3 albums une cohésion esthétique , même si je ne donne pas de dictionnaire. Dans la forme que j’assume complètement, mon travail est un hommage au surréalisme et au lettrisme, qui sont des mouvements qui m’ont beaucoup touché, car ils ont mis en exergue le fait que le subconscient est un moteur créateur pour l’homme. D’ailleurs dans mon travail en psychothérapie, ça a toujours été pour moi un leitmotiv, je ne sors donc pas des sons d’un chapeau, j’ai le désir d’être dans ma géographie. Dans cet album, j’ai d’abord écrit mes chansons en français et une musique en français, car la musicalité est différente en fonction de la langue, comme la voix est un instrument, le langage est son outil.

Peux-tu nous parler de ton livre qui sortira prochainement ?

JPEG— C’est un livre qui dans sa forme à l’italienne rend hommage aux contes, une page dédiée a l’illustration, une autre dédiée au texte en bilingue dans ma langue et traduit en français. Le travail avec l’illustrateur m’a aidé à cerner mes personnages et comprendre en fait la densité de la vie qu’ils ont en moi. Quand j’écris des histoires, elles n’ont pas la prétention d’être littéraires, j’écris des suites d’événements, j’ai aussi des schémas, des arbres généalogiques... Grâce à Ludovic, notre travail ressemblait un peu à des séances de psy, je lui décrivais mes histoires comme ça et lui me posait des questions, je partais en fait en disgression, en définissant précisément leurs caractères liés aux événements que j’avais raconté. Progressivement, Ludovic découvrait des trucs que je gardais secrets, car je voulais surtout me concentrer sur le Lac aux Vélies et ne pas partir dans tous les sens comme dans mes concerts. Cette mythologie qui existe et qui vit en fait depuis toujours en moi est à la fois un exercice et une forme de don de ma personnalité qui me donne une optique de travail, un équilibre artistique pour véhiculer mes idées, mes sentiments. Même si je sais que ces choses viennent d’une partie violente de ma vie, je suis résolu à le faire de cette manière sans l’imposer, et c’est pour cela que la forme a autant de place que le fond.

Les différentes voix de Nosfell sont autant de personnages ?

— Quand je module ma voix, j’imagine un dialogue entre un personnage et lui, ou entre deux personnages, c’est le rôle du personnage que j’incarne, Nosfell, personnage modeste sans pouvoir particulier. C’était aussi au départ l’idée d’utiliser la voix comme un instrument, et de voir ou se situe mes limites, sans faire de démonstration, au contraire j’essaie de rester dans une trame artistique cohérente, et aussi d’être transparent sur la manière dont je vis les choses. Comme beaucoup de personnes, je suis double, multiple, et j’ai envie d’assumer ça. Quand je suis sur scène, j’ai envie de jouer pour chacune des personnes et par pour une audience, car chaque individu en fonction de ce qu’il a vu, vécu est en mesure de ressentir, je veux toucher cette chose impalpable chez chacun. C’est l’héritage du surréalisme ou comment l’inconscient peut être un moteur créatif, comment ce type de création se révèle dans le public. Comme Gainsbourg, j’ai du mal avec l’écriture en surface, il a dit en interview : mon maître c’est Boris Vian, c’est le surréalisme, mais les gens veulent qu’on leur chante des chansons dans lesquelles ils aiment se reconnaitre.



 chroniques


 spéciales


aucune spéciale pour cet artiste.