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Lille, L’Aéronef, Vendredi 5 novembre 2004.

Dix-septième édition du Festival Les Inrocks présenté comme le chantre de la découverte en matière de musiques actuelles et indépendantes et lieu de représentation des espoirs déjà confirmés. Si l’on se penche sur l’affiche lilloise, on placera dans la première catégorie Joanna Newsom et son folk à camisole, 22/20’s et son rock-garage annoncé comme " singulier " (l’ajout d’un clavier suffit-il à se distinguer de la vague en fin de course sur laquelle glissent de trop nombreux groupes qualifiés de jeunes turcs de la scène rock ?), et Bloc Party, auteur d’une new-wave d’inspiration new-yorkaise et marquée du sceau des années 1970. Dans la seconde prennent sans doute place un dEUS au line-up remanié, et les Kings of Leon, minets du Tennessee rompus à l’exercice du festival.

Dix-sept ans d’activisme musical donc. L’âge de la révolte en marche, de la montée de sève post-pubère et des blagues de potache en fond de cours. Blague élaborée par les organisateurs taquins du festival qui invitèrent Joanna Newsom à une défloration scénique sans délicatesse. Ce soir-là en effet et si l’on s’en tient à mes statistiques personnelles (peut-être douteuses), un tiers de la salle ignoraient superbement l’harpie harpiste préférant leur bière aux cris plaintifs d’oiseau blessé de Newsom, un tiers lui manifestait une hostilité retenue et le dernier tiers semblait parfaitement acquis à sa cause. L’ouverture d’un festival dédié cette année au gros son par une jeune artiste armée seulement de sa harpe à peine amplifiée et de sa voix pour le moins " particulière " (voir la chronique qui lui est consacrée) sonne donc comme un vilain pet foireux au moment de l’échange des alliances lors d’un mariage. Inutile donc de s’appesantir sur un set qui divise autant que l’écoute de l’album The Milk-Eyed Mender dont Newsom égrène les titres les uns après les autres : ses chansons d’une qualité mélodique incontestable (" Sadie ", " Peach, Plum, Pear "…) souffrent d’une interprétation vocale par trop maniérée qui finit rapidement par irriter. Imaginez une heure passée en compagnie de votre jeune cousine qui s’efforce d’imiter Minnie Mouse en même temps qu’elle martyrise son bontempi…

Le martyr c’est ce que semble avoir souffert le groupe anglais 22/20’s, victime d’une technique à l’évidence déficiente qui ne permit pas à l’audience de goûter pleinement le rock burné de ce combo garage qui lorgne vers le blues rugueux. Furieux, les quatre musiciens quittèrent la scène avec fracas sans doute bien décidés à rayer la capitale régionale de leurs mémoires géographiques. A la vue de leur prestation, on ne saurait déterminer s’il faut s’en réjouir ou en s’en plaindre. La question n’eut pas le temps d’être posée, tant les groupes enchaînèrent les prestations à une allure qui laisserait sans doute songeurs les ouvriers bangladeshi de Nike. Graham Coxon lui-même semblait payé au rendement. Sa prestation n’excéda pas en effet les 45 minutes. Venu défendre son dernier opus solo " Happiness In Magazines ", le futur ex-guitariste de Blur expédiait ainsi une dizaine de chansons fougueuses sur lesquelles planent l’ombre des Kinks ou de Mission of Burma. Parmi celles-si : "Spectacular" à l’image de son titre, " Fags and Failure ", " Who the Fuck ? ", et " Bittersweet Bundle of Misery ", pierre angulaire du dernier album… Sa prestation furieuse, outre qu’elle démontra les qualités gymniques du jeune binoclard (roulades arrières, sauts, guitare jouée dans le dos..), enthousiasma un public anglo-saxon venu relativement nombreux. Et permit aux autres de se convaincre que Coxon sait user de sa voix pour le meilleur. Le pire étant le déluge sonore techniquement mal maîtrisé qui contraint bon nombre d’entre nous à s’équiper en protections auditives… rapidement ôtées comme autant de gestes de soumission envers les seigneurs de la soirée : dEUS. Visiblement heureux de remettre le couvert après le buffet froid sans doute indigeste de ces derniers mois et qui vit le départ de deux des membres, le combo belge alterna morceaux de l’internationalement acclamé " The Ideal Clash " et titre de l’album à venir (février 2005 ?). Barman nous servit donc le nectar divin traditionnel : un rock raffiné et artisanal (dans l’acception la plus laudative du terme) mâtiné de pop savante, aérienne et ciselée. Dommage cependant que la technique ne se hisse pas à la hauteur de la prestation : un réglage " au burin " des basses par trop présentes me contraint ainsi au forfait dans le deuxième tiers du set, me laissant dans l’incapacité de témoigner de plus et habité d’une impression plus que mitigée sur la soirée. Un vague contentement et pas d’émotions rares. Un peu comme certaines soirées d’un adolescent âgé de 17 ans...

Lille, L’Aéronef, samedi 6 novembre 2004.

Dans l’attente d’éléments qui me permettraient de rester convaincu que cette dix-septième édition du Festival des Inrocks se hisserait à la hauteur de celles qui mirent en lumière, au hasard Pulp, je me présentai devant les grilles de l’Aéronef, circonspect à l’idée de suivre cette deuxième soirée.

D’éléments il fut question. Mais à charge. Passons sur ce que l’on qualifiera d’habitude (à en croire la chronologie de ce même festival dans la capitale ou d’autres villes de Province (cf. : l’épisode Soulwax à Paris)) du festival des Inrocks : l’entame de concert bien avant l’heure dite.

Un tel empressement nous interdit de goûter pleinement le set d’Automato, de moi inconnu mais dont ADA s’est déjà fait l’écho. Dans un mouvement d’euphorie mal contrôlée et au risque de me voir pointer du doigt par d’autres festivaliers appelés par le bar et habillés de T-Shirt The Killers, j’évoquerais ce groupe comme la meilleure performance de cette édition lilloise. Durant un set maîtrisé, Automato nous offrit le meilleur de la rencontre entre rap et électro circa les années 1990. Et nous rappela, comme l’écrit GDO, que l’inconscient se fourvoyait en claironnant la mort du genre. Dommage pour Elle qui devra modifier la une de sa page culture. Le magazine se rattrapera sans doute en annonçant la conquête programmée de l’Hexagone par les Irlandais de Snow Patrol.

Ces derniers ont en effet pour eux une morgue, un désir évident de jouer et de se produire live, domaine dans lesquels ils semblent exceller, et… l’aplomb (dénué d’arrogance) de ceux qui ont vendu les exemplaires de leurs précédents efforts par camions entiers au Royaume-Uni. Durant le premier tiers du concert je me laissais convaincre par la certitude que le groupe allait nous refaire le coup de Travis à la Route du Rock 2003, c’est-à-dire de se nourrir des quolibets prématurés des autoproclamés gardiens du temple de la cause indie (" Quoi Travis ? Attends même ma petite sœur elle est passée à aut’chose mec ! Viens on va s’écouter le dernier Liars… "), pour mieux délivrer un set emprunt de rage et de désir d’en découdre qui finit par convaincre le dernier des réticents. Cette certitude m’abandonna après quelques vingt-minutes. L’entrée en matière constituée de morceaux de leur dernier opus The Final Straw, donnait à découvrir un groupe heureux de jouer et prêt à offrir tout et tout de suite. Seulement voilà, l’offrande gratuite tourna rapidement au racolage actif et la musique en démonstration pompière. Dommage.

Dommage aussi que ma volonté neuve de me forger un amour sans borne pour les trublions de Bloc Party ne se fane à l’issue de leur prestation. Forts de trois excellents EP (mais que leur restera-t-il à placer dans leur album ?) et de tubes indéniables (Banquet, Little Thoughts, New Dephts…), le next big thing s’avance sur scène habité du désir de prouver que sa réputation n’est pas usurpée et…. Et rien. Le charisme insondable du chanteur qui transpire nettement à l’écoute de leurs oeuvres studio, s’efface pour laisser place à celui du post-adolescent qu’il est, tiraillé entre l’envie d’envoyer chier un public pas tout à fait familier de leur musique et qui, ainsi, ne répond que partiellement aux œillades pourtant imparables du combo, et le désir plus ou moins net de poser le pied sur un sol à conquérir, la France. Les morceaux s’enchaînent, efficaces mais désincarnés, et chanteur et guitariste s’emmurent dans la démonstration d’amitié qui les lient pour mieux occulter la réalité d’un jour sans. On ne les blâmera pas et on attendra avec compassion les dates françaises à venir. Comment en effet, porter un jugement hâtif sur un jeune groupe qui expérimente tournées épuisantes, interviews marathon et hostilité sourde de ceux qui " les attendent au tournant " ?

Autant d’affres que connurent sans doute les minets de Kings of Leon et qui les poussèrent sans doute à sortir trop rapidement un deuxième album qui ne dit pas plus que ce que disait le précédent. Nouvelles coupes de cheveux, joues désormais glabres et son impeccable, ils s’avancent et balancent l’essentiel de Aha Shake Heartbreak et de Youth and Young Manhood. Tout est huilé, efficace et joué vite. La voix singulière de Caleb Followill convainc. Mais…on se fait chier. Et on abandonne à leur sort, ce groupe rompu à l’exercice de la scène.

Comme on abandonne l’idée de revenir l’année prochaine ou du moins on essaie. La programmation reste impeccable et l’idée de décentraliser le festival une preuve flagrante d’ouverture d’esprit. Mais le contenu manquait. L’année prochaine le festival atteindra la majorité. On sera là quand même pour s’assurer qu’il devienne un adulte respectable…



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