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Pour la sortie de ce nouvel album (arrogance) de Jon Smith accompagné de Deborah, l’idée de l’interview était obligatoire pour mieux comprendre le personnage, car jon smith est un personnage. N’étant ni arrogant et peut être en attente de vacances, nous décidions de confier à Deborah le soin de s’occuper de l’interview Et à Jon Smith de nous présenter mieux Deborah. Cela nous donne l’interview croisée de deux personnages attachants.

Deb : Beaucoup de gens ont vu la présentation visuelle de ton dernier album " arrogance " comme un commentaire socio-politique. Qu’en penses-tu ?

— JON : Je me demande un peu qui sont ces " beaucoup de gens ", je dois avouer… Bon, pour parler de la pochette de ce disque, qui n’a pas forcément été comprise par tout le monde, c’était surtout pour rajouter un trait d’humour et de recul, par rapport à la musique que je fais, par rapport au fait d’être, ou de se dire musicien en général, pour montrer que finalement on peut aussi faire les choses sérieusement sans se prendre totalement au sérieux. C’est ce que j’essaie de faire dans ma démarche artistique, dédramatiser la situation en rendant un peu grotesque le personnage même du chanteur, c’est la même démarche qui m’a fait adopter un pseudo anglo-saxon pour chanter en français.

Deb : Qui sont tes héros ?

— JON : Je ne sais pas si je peux dire que j’ai vraiment des " héros " , plutôt des gens que j’aime tout simplement. Plein de gens m’ont donné envie de faire de la musique ou me donnent encore l’envie de continuer. Pour n’en citer que quelques-uns, j’ai envie de parler de Bruce Springsteen, je sais pas pourquoi mais étant petit, j’ai été fasciné par ce mec, son charisme, ses cris, ce côté bête de scène… Maintenant, le type que je vénère c’est plutôt Morrissey, qui pour moi, personnifie LA classe. Mais bon mon idole absolue et éternelle restera Diego Maradona…

Deb : Tu fais aussi des films. Comment est-ce que ton rapport avec le film diffère de celui que tu as avec la musique ?

— JON : Paradoxalement, j’ai l’impression d’avoir plus de facilité à réaliser qu’à faire de la musique, et pourtant je préfère de loin faire de la musique. Quand j’ai réalisé mon court métrage " Rebondir " en 2003, je me suis senti bien moins stressé par l’accueil qu’il allait avoir que lorsque je sors un disque, c’est plus pour moi un amusement par rapport à sortir un disque ou j’ai l’impression que toute ma vie est en jeu à chaque fois… Ceci dit ça fait aussi du bien parfois de pouvoir varier les plaisirs, ainsi j’ai donc réalisé un clip pour une chanson de mon disque : http://raspage.com/deborahandjon/jo... et je prépare en ce moment une vidéo promotionnelle pour le groupe Calc qui sort son quatrième album.

Deb : Avec un peu de recul, quelle chanson sur ton dernier album te touche le plus maintenant ? Qu’est ce que tu vas prendre avec toi de cet album, et qu’est ce que tu voudrais laisser derrière ?

— JON : C’est une question difficile, je suis encore un peu trop dedans pour pouvoir y répondre objectivement. J’imagine que l’accueil qu’aura le disque m’influencera beaucoup aussi sur l’avis définitif que je m’en ferai à l’avenir. Si je ne devais garder qu’une seule chanson de ce disque, je pense que ce serai " la lumière ", qui ferme le disque.

Deb : En tant qu’artiste, quelle est ton expérience avec la collaboration ?

— JON : Etant autodidacte, plutôt du genre à avoir passé ma jeunesse avec le 4-pistes plutôt qu’à répéter dans le garage avec des potes, la collaboration est, au départ, pas trop mon truc. J’ai beaucoup progressé en jouant avec toi Deborah, en t’écrivant des chansons à partir de textes existants. Maintenant je collabore beaucoup avec d’autres gens, particulièrement au niveau de la production et du mixage. Je serai dans le coup du premier album des people on holiday qui sortira à la rentrée, je commence à travailler avec David de Pull pour " tubiser " leur son… C’est surtout au niveau de ma propre musique que j’ai tendance à ne pas être très à l’aise avec la collaboration.

Deb : Que penses-tu de Deborah ?

— JON : Tout d’abord je suis très déçu de l’insuccès de l’album que l’on a fait ensemble " Lines ", pour moi c’est un bon disque qui aurait mérité meilleur sort. Deborah dégage, sur scène, et dans la vie en général, une espèce de sympathie naturelle et spontanée. En concert, les gens lui pardonnent volontiers ses quelques erreurs techniques, car ils sentent que tout est fait avec sincérité et délicatesse, elle ne semble être sur scène comme dans la vie (ce qui est vrai), et les gens le voient. Souvent j’envie ce charisme, moi qui ai l’impression de jouer ma vie à chaque concert. Je pense que c’est du au fait qu’elle est plus détachée de tout ça, de part ses activités extra-musicale.

Jon : Pourquoi la France ?

— DEB : La réponse sur la surface c’est probablement parce que j’ai commencé à étudier le français au collège, et j’ai eu une super prof de français au lycée, une femme française qui m’a donné envie d’habiter en France… C’est parti sur la langue, alors, et avec un désir de voyager et de voir ailleurs. Je pense que ça aurait pu être une autre langue, un autre pays qui me séduise, bien qu’il y a des aspects de la vie en France qui me conviennent plus que dans mon pays d’origine. Mais pourquoi j’y suis restée ? Je me suis toujours sentie à l’écart aux Etats Unis ; je me sentais différente de la plupart des gens ; je me sentais, quelque part, étrangère. En France, je suis vraiment étrangère, donc pas contrainte aux mêmes règles et attentes sociales, et ça me permet d’être plus moi-même. Après quelques années en France, je me sens de plus en plus étrangère aux Etats Unis ; je ne me sens pas française non plus. J’aime cette espace gris de non- ou semi appartenance ; je pense qu’on est plus libre là-dedans. Ou, pour répondre de façon beaucoup plus romantique mais pas moins vraie : la cuisine française ; des repas qui durent des heures ; l’habitude de manger des vrais repas, assis, en compagnie ; la beauté des villes ; mon immeuble, qui date du 16ème, probablement hanté ; le café en terrasse ; le dimanche à rien faire ; la sécurité sociale ; l’appréciation de la culture ; la tendance des français d’être moins pressés…

Jon : Tu te sens très impliquée et sensible à la politique américaine, ne devrais-tu pas l’être aussi par la politique du pays dans lequel tu vis depuis 4 ans.

— DEB : Contrairement à ce que tu laisses entendre dans la question, je me sens de plus en plus impliquée dans la politique française. (Ceci dit, je ne peux pas voter ici, et je vote toujours en californie.) Si je ne dis pas grande chose là-dessus pour l’instant, il y a plusieurs raisons. D’abord, j’écoute et j’essaie d’apprendre ; je ne me sens pas capable encore de dire grande chose. Ensuite, depuis que j’habite en France (Oct. 2000), mon pays a connu la période politique la plus (je manque de mots…) Turbulente ? Terrifiante ? Il n’est pas nécessaire d’élaborer ici pour le lecteur pourquoi ça m’a préoccupée. Je ne peux pas exprimer ce que ça me fait de voir ce qui s’est passé ces dernières années à mon pays. Mais je me sens aussi tellement impliquée parce que ce que fait les Etats Unis concerne le monde entier, y compris la France. Et je constate que la politique en France se rapproche de plus en plus de chez nous, et ça me fait peur. Une des raisons que je suis restée en France était politique. En France, j’ai trouvé un pays beaucoup plus social que les Etats Unis. En général, la politique des gens en France (beaucoup plus à gauche que les américains) était plus proche de mes pensées. La sécurité sociale est une chose à laquelle la personne moyenne aux USA rêve. Les aides quand on est au chômage aussi. Les congés parentaux aussi. Les cinq semaines de vacances. L’université (presque) gratuite. Mais toutes ces choses vont disparaître éventuellement si la France continue sur la même voie politiquement. Ca me fait mal au cœur de voir le gouvernement français passer des réformes qui suivent exactement dans les pas des USA, ou de l’Angleterre dans les années Thatcher. On n’a qu’à regarder l’état de la société américaine pour en déduire que la privatisation n’est pas une bonne chose, qu’il est dans l’intérêt de la cohésion sociale d’avoir un système d’éducation publique qui marche, que de confondre la santé de la nation avec l’économie est une erreur. Je pense qu’il doit y avoir beaucoup de français qui prennent les services sociales en France pour des acquis, pour avoir pu voter pour la droite. J’espère qu’ils se réveilleront pour les prochaines élections.

Jon : Tu écris, tu édites un fanzine littéraire, comment prends-tu tes activités musicales par rapport à ça ?

— DEB : La littérature est mon premier amour. Depuis mon enfance, la lecture est pour moi un moyen de voyager, de voir le monde de multiples angles. Les livres me transforment. Je me suis toujours sentie touchée plus par les livres que par toute autre chose dans le monde. Pour moi, la lecture est magique, mon plus grand plaisir dans la vie. J’ai toujours voulu écrire, parce que j’adore le langage, et je voudrais essayer, en toute humilité, de toucher les autres avec des mots, des personnages, des histoires. C’est cliché à dire, mais quand on écrit, tout est permis. On peut casser toutes les règles, réinventer complètement le monde à notre façon (je ne suis pas fan du réalisme…) bref, l’écriture et le langage sont, pour moi, la liberté absolu. C’est dans l’écriture que je m’exprime mieux (en anglais en tout cas). Le fanzine, Louis Liard (contact : louisliard@hotmail.com), que j’édite (avec Onnaca Heron) me permet d’être en contact avec d’autres gens qui écrivent, ce qui est vraiment important pour son développement en tant qu’écrivain. Face à des livres qui ont changé ma vie, qui m’ont étonné, je me sens toute petite et toute bête, angoissée parce que je voudrais tellement être aussi bon et j’ai peur que je ne le serai jamais. La musique a toujours été très importante pour moi aussi, mais de façon différent. J’ai grandi avec la musique des années 60’s, et j’ai adoré chanter. J’ai fait dix ans de piano classique en tant qu’enfant, et j’ai adoré aussi. Jouer une heure chaque jour pendant une enfance en banlieue américaine remplie d’activités extra-scolaires, était pour moi de la méditation, une instance de voyage différente de celle des livres. Un moment de purifier l’esprit. Pour moi, la musique, paradoxalement, nous aide à trouver l’espace silencieux dedans, où il n’y a pas besoin de mots. La grande différence entre l’écriture et la musique est, pour moi, que je n’ai pas le talent de composition de la musique. Je n’entends pas, ou très rarement, des mélodies originelles dans ma tête. Quand j’apprends un morceau, il faut que je voie les partitions (pour le piano) ou que je l’écoute plein de fois (pour le chant). Bref, je sais que je n’ai pas le talent pour être un grand musicien ; ça me laisse libre de faire de la musique pour la joie que ça m’apporte. Bien sur, je serai contente si plein de gens voulait écouter ce que je fais, mais ce n’est pas le but de ma vie. L’écriture, par contre, est ce que je me sens obligée à faire ; c’est ma façon de comprendre et de refaire le monde, ma façon de communiquer. Je rêve d’un jour être reconnue en tant qu’écrivain, donc dans l’écriture il y a une angoisse, une urgence, qu’il n’y a pas dans la musique pour moi.

Jon : Tu as sorti ton premier disque " Lines " il y a quelque mois. Comment l’as-tu vécu ? Comment appréhendes-tu l’idée d’en refaire un, et comment le feras-tu ?

— DEB : La sortie de " Lines " était un peu un dénouement. On a écrit les chansons ensembles deux ans (à peu près) avant la sortie du disque, et on les a joué mille fois en concert. Ensuite, on a pris super longtemps à enregistrer le disque, largement parce que j’enseignais à plein temps à l’époque et je n’arrivais pas à me mettre dedans, à m’exciter pour le projet. Comme tu le sais, tu (jon smith) as fait tout pour les arrangements, l’enregistrement, etc. Quand le disque est sorti, j’en avais tellement marre de ces chansons (bien qu’elles soient toutes belles). Le disque n’a pas fait énormément de bruit médiatiquement ; ce qui ne m’a pas trop gêné, vu que je n’attendais pas à ce qu’il a du succès. Pour moi, ce premier disque est un premier essai, une première tentative. J’ai beaucoup appris. Je travaille actuellement sur un deuxième disque, et je l’aborde de façon complètement différente, avec plus d’idées sur ce que je voudrais faire. J’écris des textes, sans beaucoup de soucis sur la rime ou le rythme, et je donne chaque texte à un ami musicien différent ; je lui demande de se laisser inspirer par le texte, et de m’écrire une musique là-dessus. Avec " Lines ", j’avais l’impression que les paroles devaient être personnelles, même s’il y a déjà des chansons sur " Lines " qui sont inspirées par des histoires qui n’ont rien à voir avec ma vie… En écrivant ces nouveaux textes, je me sens très libérée. Je m’éclate. Et les chansons qui ont été écrites déjà à partir de ces textes sont géniales. Les structures sont différentes ; les textes, parfois bizarres et encombrants, donnent des choses rythmiques chouettes. Après avoir écrit toutes les chansons, on va les enregistrer ; jon smith va produire le disque encore. On a prévu de prendre plus de risques, d’explorer plus. Je conte être beaucoup plus impliquée dans les arrangements, dans l’esthétique. Ça sera surement différent de " Lines " ; déjà le ton est très différent.

Jon : Sur scène, préfères-tu accompagner les chansons de Jon Smith, ou qu’il accompagne les tiennes ?

— DEB : Ca dépend. Quand je joue le clavier, je préfère largement accompagner jon smith, parce que jouer le piano sur scène m’effraie complètement. Je me trompe souvent si je ne me concentre pas, donc c’est plus facile quand je ne chante pas au même temps. Quand j’accompagne, j’éprouve du plaisir à jouer le clavier, je me sens moins sous pression. Par contre, j’adore quand jon smith accompagne mes chansons quand je chante sans jouer le clavier. Quand je joue et je chante au même temps, j’ai l’impression que je ne peux pas me concentrer sur le chant. Je chante mieux debout, quand je ne fait que chanter.

Jon : Que penses-tu de Jon Smith ?

— DEB : Je pense que jon smith à plein plein de talent en tant que musicien, et aussi en tant que parolier, même si lui il a tendance à dire que ses paroles sont nulles… Mais je pense que surtout, jon smith est quelqu’un de très sensible. (On n’a qu’à écouter des chansons comme " Revenir ici " ou " Gares " ou " la Mer "). C’est quelqu’un qui a une profonde tristesse au fond de lui, qui surgit dans ses chansons. Il a un sens de l’impermanence des relations, et la beauté transitoire que ça évoque. Il a toujours le souci qu’on le ne le prenne pas trop au sérieux ; et il fait gaffe de ne pas se prendre lui trop au sérieux. Jon smith possède un esprit critique sur tout ; que se soit la politique ou les films, que se soit le produit d’un artiste qu’il déteste ou qu’il adore, il essaie de toujours rencontrer des " textes " de toute sorte sans à prioris. Il est extrêmement critique de lui-même, parfois trop, mais cela lui permet de ne pas être facilement content avec ce qu’il fait, et ça lui fait avancer. Il a un super sens d’humour, et il aime bien mettre en jeu le premier et le deuxième degré. C’est étonnant, mais il y a des gens qui n’ont pas du tout compris que la pochette de son disque " Arrogance " est faite au deuxième degré ; ou peut-être au nième degré. Cette mise en forme nous demande de mélanger le premier et le deuxième degré ; elle nous défie de choisir comment on va comprendre ces chansons. Il demande à ses écouteurs de penser et de remettre en cause leur façon d’aborder un disque. (Très potmoderne, tout ça…) Et il a une " éthique du travaille " beaucoup plus développée que moi ; il a une idée, et il le fait. S’il y a une chose qu’il pourrait apprendre, c’est la patience. Il voudrait toujours que tous se passe très vite, et souvent les autres ne sont pas à sa vitesse. Peut-être qu’il pourrait faire du yoga, ou un truc comme ça, mais il risquerait peut-être de perdre son ironie et son énergie…

Merci à vous deux pour ce joli moment croisé.



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