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Interview réalisée par email le 15 décembre 2005.

Steven R Smith est un homme multiple. A la fois fasciné par l’Europe Centrale sous le nom d’Hala Strana, il partage aussi les escapades de ces amis Glenn Donaldson et Loren Chasse dans Thuja. Rencontre avec un homme charmant, détaché, dont la musique vous fera traverser les époques et les territoires. Un peu comme le Père Noël.

Tu as sorti cette année " Crown of Marches " sous ton propre nom. C’est très différent de ce que tu fais d’habitude.

— Steven R Smith : Eh bien c’est exactement ce que je voulais faire sur ce disque, aller explorer d’autres choses, enfin j’ai essayé. Je ne sais pas trop, c’était vraiment intéressant de travailler sur une seule pièce aussi longue. Essayer de pousser une chanson aussi loin possible et la rendre quand même intéressante. Mais je ne pense pas faire ce genre de choses à nouveau. Ca ne semblerait pas très naturel. Je ne réfléchis plus en ces termes, enfin pas tout de suite en tout cas. Je suis vraiment très content du résultat, je suis content de l’avoir fait et je serai content de ne plus le refaire.

Peux tu nous expliquer la construction de " Fielding " ?

— " Fielding " a été fait un peu au hasard. J’ai fait quelques recherches et je suis tombé sur beaucoup de chansons traditionnelles d’Europe Centrale que je voulais reprendre et mettre à ma sauce. Et en plus de cela j’avais écrit quelques morceaux pour accompagner, j’ai retrouvé de vieux field recordings historiques, j’en ai fait moi-même etc…A ce moment là il fallait que j’arrive à rassembler tous ces éléments en un seul disque. Ma façon d’enregistrer doit être assez ennuyeuse d’un point de vue extérieur, c’est comme si tu regardais un peintre travailler sur sa toile : il ne se passe pas grand-chose de visible ni de tangible. Si tu joues dans un groupe il y a plus de conflits de personnalités et d’engueulades etc…Je suis un mec qui joue de la musique et qui lutte pour exporter ces idées. Mais je ne suis jamais allé en Europe Centrale pour enregistrer, même si j’ai passé quelques temps en Allemagne de l’Est et en République Tchèque il y a quelques années de cela. Ceci dit cela aurait été vraiment bien de pouvoir enregistrer là bas. Je pense que le meilleur disque d’Hala Strana que je puisse faire, doit être d’enregistrer avec des musiciens locaux incorporant leur savoir, et m’apprenant leurs traditions. J’ai d’ailleurs utilisé beaucoup d’instrumentaux traditionnels comme le bouzouki, hurdy gurdy, le violon, violoncelle etc…mais j’ai aussi utilisé des instruments plus classiques comme une guitare électrique, ou différents instruments que je construits moi-même.

Justement peux tu nous parler un peu plus des field recordings présents sur Fielding ?

— En fait je ne fais pas beaucoup de field recordings, en tout cas je n’en fais pas autant que tous les musiciens avec qui je travaille. Mais pour " Fielding " j’en ai utilisé énormément. Comme je te le disais certains venaient de sources historiques et j’en ai fait une partie moi-même, également, en ville et dans la campagne. J’ai ensuite listé les sources historiques sur mon site Internet, au cas où quelqu’un voudrait savoir d’où je les tire et aussi pour remercier ceux à qui je les avais emprunté. Je ne suis certainement pas le seul à utiliser des enregistrements historiques dans mes compositions (Brian Eno, Charlie Haden, Peter Gabriel, Pearls Before Swine et beaucoup d’autres encore). J’avoue honteusement utiliser beaucoup les field recordings des autres, mais je les travaille beaucoup, je les manipule, je les détourne de leur contexte pour les rendre méconnaissable à la fin. Mais sur " Fielding " certains ont été utilisés presque tel quel, pour qu’on reconnaisse bien la provenance. Et c’est normal.

Y a-t-il une grande différence entre tous tes projets ?

— Oui je pense qu’ils sont tous plus ou moins différents, au moins dans l’intention en tout cas. Chaque projet est traité différemment. La plupart de nos compositions avec Thuja sont improvisées. Pour Hala Strana je passe beaucoup de temps pour l’écriture, ou j’arrive de temps en temps à créer en enregistrant directement. En tout cas Hala Strana est basé uniquement sur la musique traditionnelle européenne et centre européenne. Pour les disques que je fais sous mon propre nom, cela varie, certains sont totalement improvisés et d’autres sont totalement écrits, orchestrés à l’avance et sont concentrés sur des sujets plus personnels. Je dirais que l’improvisation est vraiment important dans tout ce que je fais, que ce soit seul ou avec mes amis. Evidemment cela dépend du groupe ou du projet, mais il y a toujours un élan de spontanéité et d’improvisation dans tout ce que l’on fait.

Concernant le Jewelled Antler Collective, es tu impliqué dedans ? Il a pris une autre dimension depuis quelques temps.

— En fait ce sont juste des amis et nous avons joué ensemble depuis des années. J’en sais trop rien. Je pense que Loren et Glenn sont beaucoup plus impliqués que moi dans ce label, je n’y ai quasiment jamais participé d’ailleurs. Ils ont sorti beaucoup de disques à eux sur le label. Mais c’était quand même vraiment inattendu d’avoir un public pour tout ça et nous sommes vraiment reconnaissants aux gens qui y prêtent attention. Personnellement je donne très peu d’interview, je fais très peu de concerts, j’essaye de ne pas trop me préoccuper d’une quelconque scène ou d’appartenir à un mouvement. Je joue des notes ensemble, et ça ne veut pas toujours dire quelque chose. Je suis juste un musicien.

Te sens tu américain musicalement parlant ? La musique que tu joues est désormais totalement internationale.

— J’avoue que la plupart du temps j’agis un peu comme un ermite et que je suis mon propre conseiller. Je ne connais pas vraiment personnellement tous ces groupes et je ne me sens pas appartenir à un mouvement musical ou une communauté. Je ne vois pas vraiment ma musique comme américaine, ou finnoise ou peu importe, j’essaye de faire quelque chose de très personnel. Le lieu ne m’intéresse pas vraiment, tu as sûrement beaucoup de musique merdique aux USA, mais je suis sur que tu en as aussi beaucoup en Finlande. Tu sais ce qui est marrant, c’est quand tout ce baltringue autour du " New Weird America " est apparu, je n’ai pas vraiment trouvé que la musique qu’ils mettaient dans cette catégorie, était si étrange que cela. J’aurais aimé que cela soit beaucoup étrange que ça ne l’est. Je trouve que ça regroupe pleins de style déjà existants (rock, folk, free jazz et avant-garde) et c’est assez facile de voir d’où vient cette musique. Franchement ce dont nous avons vraiment besoin c’est d’un nouveau langage musical. Un contexte totalement innovant. Tout recommencer à partir d’un grésillement. Plus facile à dire qu’à faire, je sais bien. Crois moi. J’espère que quelqu’un pourra le faire. J’aimerai bien pouvoir le faire, mais je suis tellement ancré dans toutes ces traditions. C’est le seul reproche que je peux faire, de toute façon c’est juste une tentative de journalistes pour créer un nouveau mouvement. Je ne suis même pas sur que ça existe. J’imagine que beaucoup de ces groupes sont amis et font des tournées ensemble, donc cela peut constituer un mouvement. Mais je m’en fous en fait. Je ne fais pas trop confiance à ce genre de choses.

Thuja a sorti cette année " Pine Cone Temples ". C’est peut être le disque le plus abstrait que vous ayez sorti.

— Il a été enregistré sur de nombreuses années, donc si tu veux il n’y avait pas vraiment un fil rouge. C’est juste un regroupement d’enregistrement de nos jeux. Et nous avons choisis les parties les plus intéressantes. Pour ce disque on a choisi les parties les plus abstraites, en effet, car c’était notre état d’esprit à l’époque. Peut être aussi que ce choix était une réaction au dernier disque (" All Strange Beasts of the Past ") dans lequel on avait privilégié le côté chanson. Nous voulions montrer une autre facette.

Quel serait pour toi le meilleur endroit pour donner un concert ?

— Sûrement ma maison.

Quels sont tes projets futurs ?

— Tout de suite, pas grand-chose. Il devrait y avoir deux nouveaux Hala Strana, un EP chez Soft Abuse et un LP chez Music Fellowship, tout ça dans l’année. Après on verra bien.

Ça t’énerve quand on dit que vous êtes des hippies ?

— Ah, c’est une très bonne question. En fait de temps en temps j’ai l’impression d’en être un. Mince j’en sais trop rien. Je pense que ça dépend de ta définition du mot. Je pense sincèrement que j’ai en moi des éléments hippies, mais je me considère souvent ainsi que notre attitude général comme punk. Donc peut être que c’est un croisement des deux ? Ou peut être que je ne sais pas de quoi je parle. Je ne pense pas avoir une foi débordante en la bonté de l’espèce humaine, donc je ne pense pas être un vrai hippie. Nous sommes une espèce pourrie de toute façon, et c’est sûrement mieux comme ça, tant que tout l’univers est concerné. Abondance et salut ! .



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