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Interview réalisée via mail en Mars 2006

Ghislain Poirier, beatmaker transversal et atypique, est devenu l’un des producteurs les plus en vue de la scène hip-hop actuelle. De retour en 2006 avec Breackupdown, diamant brut à la dualité revendiquée, à la fois tapageur et rêveur, comme si Timbaland avait planté Magoo pour Dj Shadow, le québécois se livre sans détours aux questions d’ADA.

Même si on commence à parler beaucoup de toi, les français ne te connaissent pas encore vraiment. Pourrais-tu te présenter et nous dire qui es-tu réellement ?

— J’ai sorti mon premier album " Il n’y a pas de Sud… " en 2001 et c’était vraiment de la musique ambiante. Mon dernier album Breakupdown (mon 5e ) est définitivement plus hip-hop, plus massif avec des collaborations de tous les horizons. Je suis musicalement curieux et j’aime changer de directions et surprendre. Ma musique est surtout instrumentale, ce qui ne m’empêche pas de collaborer avec des rappeurs. Aussi, je ne cache pas le fait que je suis francophone en ayant consciemment décidé de garder mon nom. En gros, ça ressemble à ça.

Quelles sont tes principales influences ?

— Le Hip-hop et la musique électronique à la base. Puis à ça, il se greffe plein de choses comme : reggae, dub, dubstep, grime, crunk, funk, soul, broken beat, ragga, musiques africaines roots et populaires, soca, etc.

Tu viens de sortir Breakupdown sur Chocolate Industries qui est considéré par Pitchfork comme de l’ "Intelligent dance musique". Tu as en effet évolué depuis ton précédent LP Beats as Politics (2003), plutôt considéré comme introspectif et politiquement engagé, vers des sonorités toujours aussi minimalistes mais dont beaucoup semblent être échafaudée pour le dancefloor. Faire plier nos jambes tout en faisant gamberger nos têtes, est-ce pour toi une bonne définition du hip-hop ?

— Selon moi, Breakupdown est vraiment dans la continuité de Beats as Politics. Ce sont à peu près les mêmes préoccupations esthétiques et aussi le même univers, mais en plus éclaté pour Breakupdown. Ils sont tous les deux à cheval sur le hip-hop et la musique électronique et ça crée plein de mélanges. C’est sûr que je recherche à faire une musique qui fasse bouger les gens, mais je ne mets pas de côté pour autant les tracks plus introspectives. En fait, je trouve sain d’avoir des tracks très intellos qui côtoient des tracks plus dansantes. L’un n’empêche pas l’autre. Cette dualité est un point essentiel dans ma démarche.

On ressent en effet à l’écoute de Breakupdown une certaine ambivalence. Une grosse partie des pistes est construite sur des beats très mécaniques et abrasifs, alors que d’autres dessinent au contraire un univers plus atmosphérique et abstrait. As-tu utilisé différentes méthodes pour façonner cet album ?

— La composition de Breakupdown s’est échelonnée sur une longue période et il y a des tracks très vieilles sur cet album comme d’autres beaucoup plus récentes. Ce que j’ai essayé de faire c’était de ne pas me répéter au niveau des structures des chansons. J’ai tenté non seulement de proposer différents univers sonores, mais aussi de ne pas toujours construire les tracks de la même façon, question de gentiment bousculer l’auditeur. De plus, mes sources sonores étaient très variées, passant de la musique contemporaine à des enregistrements de sons dans mon sous-sol.

Tu viens aussi de sortir un excellent album de remix, Bounce le Remix. On connaît ton talent dans ce domaine, notamment grâce à ta vision du single de Lady Sovereign, Fiddle With The Volume. Considères-tu ce genre d’expérience comme de la création à part entière ?

— Oui. Faire Bounce le Remix a été un exercice de style très enrichissant qui m’a permis de creuser précisément dans une esthétique plus orientée club. Ça m’a permis de mieux saisir la façon de créer des tracks pour le dancefloor et cette expérience est bénéfique pour les prochains " vrais " remix. C’était aussi une façon pour moi de me faire des tracks exclusives que personne n’avait à l’époque et de les jouer dans mes sets de DJ afin de surprendre la foule. J’ai décidé de rassembler les 13 remix qui me plaisait le plus sur un seul CD afin de les partager avec le public. Dans le cas du remix que j’ai fait pour Lady Sovereign, je pense m’être bien approprié le morceau. À tel point que Lady Sovereign le préfère à la version originale. Aux dernières nouvelles, elle voulait inclure mon remix sur son album pour Def Jam. On verra si cela se concrétisera.

Tu multiplies depuis quelques temps déjà les apparitions scéniques, soit aux platines pour tes soirées Bounce le Gros au Zoobizarre de Montréal, soit seul ou accompagné d’une section rythmique (Christian Olsen à la batterie et Vander à la basse) lors de tes différents concerts. Que t’apportent ces confrontations avec le public ?

— L’énergie en DJ est différente de la prestation live avec musicien. Je joue aussi en live seul avec mon laptop et mon sampler, surtout quand je voyage hors du pays. J’ai longtemps mésestimé le rôle du DJ, je n’y voyais pas grand chose d’intéressant. Mais faut croire que ça m’a rattrapé et j’ai eu l’occasion de voir que c’était quelque chose de bien d’être DJ dans des soirées ! Ça me permet de partager la musique que j’aime, de diffuser mes amis musiciens et aussi de tester mes nouvelles tracks, mes nouveaux beats. J’ai longtemps fait une émission de radio à CISM (Université de Montréal) et j’aimais énormément le concept de diffuser à large échelle mes trouvailles musicales. Maintenant, je continue à le faire mais dans un concept différent. Côté live avec Christian Olsen et Vander, qui sont de talentueux musiciens, cela est relativement nouveau et j’adore ça. On a fait notre premier shows tous ensemble en juillet 2005 en première partie de Buck 65 à Québec. Ça donne un nouveau souffle à ma musique, ça la rend plus fat et plus complexe. À trois sur scène, on fait définitivement du gros son. On a d’autres concerts de prévu ensemble et on est en train de peaufiner tout ça. Idéalement, j’aimerais partir en tournée dans cette formule avec musiciens.

La scène montréalaise connaît depuis quelques années une effervescence inouïe. Pourquoi selon toi le Canada en général, et Montréal en particulier, sont-ils devenus si propice à la création musicale ?

— Peut-être parce que la vie est relaxe et que ça ne coûte pas trop cher y vivre. Peut-être aussi parce que les musiciens d’ici se sont tout simplement décomplexés et assument pleinement la musique qu’ils font…

Le Hip-hop canadiens est surtout dominé par les anglophones. Que penses-tu des artistes comme Josh Martinez ou ceux du label peanuts&corn ? Te sens-tu proche d’autres beatmakers canadiens comme Soso ou Sixtoo ?

— Je n’ai jamais écouté Josh Martinez… Sixtoo habite dans le même quartier que moi à Montréal (mais il est originaire de Halifax), on se croise souvent, mais on ne s’est jamais proprement installé pour faire de la musique. Je connais un peu le travail de Peanuts & Corn car j’ai joué à Winnipeg et Jon Smith était venu faire du freestyle sur mes beats, c’était assez fou ! À savoir si je me sens proche des autres beatmakers, je dirais à moitié.

Tu as produit quelques titres sur le dernier album FM2 : 24 pouces glacés du Groupe de "Crunk Québécois" : Omnikrom. Peux-tu nous dire quelques mots sur cette expérience et nous définir ce style si particulier ?

— Ben, le crunk québécois c’est assez embryonnaire. C’est loin d’être un mouvement. Il s’agit plutôt d’un truc particulier à Omnikrom. En tant que beatmaker, ça me permet d’avoir des rappeurs qui n’ont pas froid aux yeux et qui sont prêts à rapper sur des beats pas toujours évidents. Je les invite très souvent dans mes spectacles, car que veux-tu, ils sont bons !

Tu as également collaboré avec un grand nombre d’activistes de la scène hip-hop internationale (Beans, Radioinactive, Lotek-Hi-fi, TTC…). Que t’apporte ce genre de rencontres ?

— J’aime collaborer avec des rappeurs de tous les horizons peu importe d’où ils viennent, peu importe leur langue, s’ils sont bons, talentueux et originaux c’est ce que j’aime. J’essaye de me tenir au courant de ce qui fait sur la scène mondiale et c’est sûr que ça influence mon son petit à petit. Dans certains cas, mes collaborations découlent de liens établis depuis longtemps et dans d’autres cas je peux faire une track avec un rappeur sans même le rencontrer. La musique parle d’abord et avant tout. Mais bien souvent cela débouche sur de bonnes amitiés.

Peux-tu, pour finir, nous parler de tes futurs projets ? On parle dans la presse d’une éventuelle collaboration avec le chanteur pop Pierre Lapointe ?

— Sincèrement, je ne sais pas ce que ça va être ni encore moins si cela va se concrétiser. Pierre et moi on ne s’est pas encore parlé, mais on s’est salué l’autre jour alors que je jouais en DJ et on s’est échangé nos albums par le biais d’amis communs. J’ai bien hâte de voir sur quoi tout ça va déboucher. Sinon, je mets toutes mes énergies en ce moment afin de démarrer mon propre label : Rebondir Records. Je fais essentiellement ça pour sortir ma musique. La première parution sera mon Rebondir EP qui est un CD de 30 minutes. Ça va sortir le 18 avril au Canada et aux États-Unis. Pour les européens, ils pourront acheter le disque sous peu via mon site www.ghislainpoirier.com . J’ai aussi un nouveau vinyle Dem Nah Like Me qui sort sur le label Shockout (vinyle) avec le rappeur Mr Lee G de New York/Trinidad. C’est assez ragga avec une touche grime pour le remix. Côté spectacles, il est déjà prévu et confirmé que je vais revenir jouer en France à la fin du mois de mai et aussi en juillet. Je continue bien entendu mes soirées Bounce le Gros à Montréal. Voilà l’essentiel, mais il y a aussi une tonne d’autres choses…



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