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Interview réalisée par mail en janvier 2005

il en aura fallu du temps avant de voir ce disque distribué ?

— Eric : 7 mois (dont juillet aout) entre la livraison des premiers CD et une signature avec un distributeur, ça me parait normal quand on fait tout soi même. Pour obtenir une distribution il faut en général, lorsque le groupe est peu connu,que le produit soit emballé pesé et que l’on commence à en parler. Pour cela il faut un peu de temps. Nous sommes par nature de vieux crocos:très patients. Notre notion du temps est très élastique...

Il y a-t-il pas quelque chose de difficile de fendre un album qui pour vous est quasiment de l’histoire lointaine ?

— Eric : ce n’est jamais difficile de défendre les choses qu’on aime. Evidemment on pense déjà aux prochains titres qui donneront une nouvelle dynamique mais l’histoire n’est pas encore trop lointaine , elle se répète chaque fois que l’album a de bons échos et que d’autres que nous le découvrent

en chantant en français le risque n’est il pas à l’heure actuelle de se trouver face à un label voulant du Benabar ou de Delerm pour sans aspérité pour les fonctionnaires du ministère de la culture ?

— Eric : On est tenté de répondre oui mais espérons que non ! Si le fait de chanter en français en France comporte maintenant un "risque"on peut s’inquiéter... Tiens ! je vais chanter en italien !(aïe j’ai oublié Ramazzotti et Zucchero) .

C’est né comment my concubine ?

— Eric : En douceur, sous péridurale. On se connaissait tous depuis longtemps et chacun de nous avait eu des expérience musicales "avortées".On se retrouvait souvent à Londres chez Pascale et on parlait musique. L’opportunité d’enregistrer des titres dans les studios de Mute records s’est présentée à nous. Plutôt que ressasser de vieux souvenirs on a préféré s’en créer de nouveaux.

— Pascale : Pour moi, indépendamment de nos amitiés, c’était l’image d’Eric avec Tango Luger, à l’époque où on les comparait régulièrement à Marquis de Sade. Philippe, c’était Panorama et son inoubliable ’Sinbad the Sailor’. Moi, avant d’arriver à Londres, j’avais chanté ici et là. A Londres, j’ai travaillé principalement comme arrangeuse de studio et Renegade Soundwave, avec lesquels j’écrivais des lignes de basses ou de cordes m’ont demandé de chanter un titre, Women response to bass…a ma stupefaction, nous sommes devenus single of the week dans Melody Maker… Chouette arrivée à Londres… Quand Eric m’a demandé un peu plus tard de reprendre son projet là où il en était, je me suis dit simplement : pourquoi pas ? Notre seul problème à tous résidait dans le fait que nous habitions dans différents pays.

On a croisé nos routes via comme knox johnston. Belle parabole ou amoureux de la mer ?

— Eric:Amoureux de la mer !Je fais de la voile et j ’ai lu adolescent "La longue route" de Moitessier,un marin d’exception. En refusant de rejoindre l’Europe et récolter les honneurs alors qu’il avait le meilleur chrono , il a gagné le coeur de toute une génération qui à l’époque refusait toute concurrence. Injustement personne ne se souvient du nom du vainqueur :Knox Johnston. Je suis fasciné par l’histoire du Golden Globe, incroyable pari à la Jules Verne lancé par le Sunday Times. Un tour du monde sans escale en solitaire par les trois caps ça n’avait jamais été fait. Pour les neuf concurrents se fut l’hécatombe , abandons , chavirages , et puis il y a l’incroyable histoire de Donald Crowhurst qui fait croire pendant toute la course qu’il est en tête alors qu’il fait des ronds dans l’atlantique sans oser dépasser les 35 ° de latitude sud. On retrouvera son bateau vide et son journal de bord qui décrit une longue descente dans la folie jusqu’au suicide. Avant le départ , il déclarait à un journaliste que la principale qualité d’un navigateur solitaire était d’avoir un parfait équilibre psychique ... C’est une magnifique parabole. On trouve dans cette fortune de mer tout ce qui fait notre condition : ambition , mensonge , peur , courage , stratégie , rigueur , dépassement de soi , honneurs , renoncement , folie , mort... Nous sommes tous des navigateurs solitaires.

si je vous range dans un catégorie proche des duos de Gainsbourg avec cette façon d’Éric de poser sa voix cela vous choque ?

— Eric:Non ! On a craint au début une comparaison Michel Simon/Pauline Carton ! Alors bien sûr , un rapprochement Gainsbourg Bardot , c’est toujours flatteur ! Mais cela peut aussi à la longue être gonflant surtout lorsque ça devient pour certain un raccourci facile

— Pascale : je trouve cette comparaison à propos d’Eric très flatteuse, car je suis une grande amoureuse de Gainsbourg. Pour moi, en revanche, j’en ai bavé : imaginez trois emmerdeurs qui vous répètent : sois à la fois Bardot, Moreau et puis un peu de Grace Slick, un peu de Joni Mitchell, ou de Justine Friedmann… (Là aussi des idoles !), Mais n’oublie pas de susurrer, on ne braille pas, façon ’Trois Rivières’…personnellement j’adore le Québec, où je vais régulièrement, mais il faut reconnaître qu’il a généré une certaine vague de brailleuses

En revenant à la langue vous aviez le souci de compréhension immédiate. Une chanson comme la tangente c’est mort en anglais (rires) ?

— Eric:L’anglais est une langue docile et souple, faite pour la musique. La langue française elle , est plus dure plus rebelle , il faut lui tordre le coup pour obtenir des phrasés ayant assez de fluidité ,pour éviter les rimes faciles ,pour avoir des mots avec la bonne sonorité et donner la bonne image sans tomber dans des lieux communs. Après il faut conjuguer cela avec ce que l’on veut exprimer… Quand ça fonctionne ça crée de belles frictions qui confèrent des aspérités et une dynamique au titre. C’est cela que je trouve intéressant . Essayer d’écrire une chanson en engliche est pour moi tout aussi inenvisageable que de me faire manger du rosbif sauce à la menthe !!! (quoi que…)

— Pascale : Eric dit docile et souple, j’ajoute que les paroles, en anglais ’the lyrics’, les gens en Grande-Bretagne s’en fichent éperdument. Si vous écouter avec une oreille française certains textes de Morrissey, ou autres, qui sont des gens qu’on aime, c’est affligeant.

Pour les sorcières de Salem vous appuyez vos images par le son, c’est une chose qui arrive comment ? Le hasard ?

— Eric : J’ avais peur qu’on ne comprenne pas les paroles…

— Pascale : Ils m’ont fait faire cela comme une actrice : Eric voulait vraiment que je sois une sorcière. Ce qu’il ne sait pas, c’est que je suis une vraie, hehe

La tangente est il aussi un disque d’un amoureux de cinéma ? La pochette sort d’où d’ailleurs pour ce qui est de l’image ?

— Eric : On dit souvent que la tangente est un album filmique mais ce n’est pas une démarche volontaire. Des influences cinématographiques se retrouvent peut être sur certains titres car j’aime le langage imagé ;Prononcer dans une chanson un titre de film renvoie forcément à beaucoup d’images et à des émotions dégagées par le film. C’est alors en plus du texte un autre moyen de véhiculer des sentiments. Mais c’est à employer avec modération !(quel vilain mot) Pour la pochette , je cherchais un visuel qui reflète l’esprit de l’album:des individus esseulés qui attendent un départ dans un décor un peu froid , une structure démesurée , comme dans un tableau de Le Lorrain ou des individus se perdent dans des architectures et des perspectives disproportionnées. Je suis tombé par hasard sur une vielle photo du hall de l’aéroport Kennedy conçu par l’architecte Saarinen. J’ai tout de suite aimé ce décor théâtral un peu fantastique .

En revenant à la production ce qui est fascinant c’est que vous ayez échappé aux clichés tricatel, c’était une volonté de départ de faire cette musique sans l’apparat naturel ?

— Eric : Pascale connaît depuis longtemps Bertrand Burgalat et je l’ai croisé plusieurs fois à l’époque ou refaire de la musique n’était encore qu’un vague projet. Quand nous avons enregistré notre 1er album à Londres, nous étions dans les mêmes studios de Mute records ;il préparait l’album de Valérie Lemercier. Sa production est très soignée et influence de nombreux groupes . Mais nous voulions pour my concubine un son brut , venimeux , un son pour des écorchés. Nous étions , Philippe Sigfried et moi d’accord sur le son avant d’entrer en studio et Lucas Trouble aux manettes a saisi tout de suite ;

— Pascale. Bertrand Burgalat, que je connais depuis le lycée, est justement très gainsbourien, dans le sens où il ma dit souvent que ce qu’il fait, il essaie de le faire le mieux possible (et il a un talent incomparable), mais il porte un regard cynique sur sa musique, la décrivant à qui veut l’entendre comme de la musique d’ascenseur… Et quand il enregistre et interprète les mélodies de Poulenc avec Louis-Philippe, ou fait parler Houellebecque sur ses sons électroniques, c’est du très grand Burgalat Il respecte ce que nous faisons, vice versa. La démarche d’Eric est différente… C’est un côtoiement dans des univers différents…même génération…tant mieux…

Pour les influences on peut donc citer Gainsbourg, Dutronc, et vous vous citez qui ?

— C’est toujours difficile de répondre. Il y en a tellement. Disons pour aujourd’hui ce qui me passe par la tête : François de Roubaix (Le samouraï) Ennio Morricone (Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon) George Delerue (L’aîné des Ferchaux) Amon Dull (Le yéti ) Brel (La chanson de Jacky) Télévision (Marquee moon) Wire (Pink flag) Christophe (La man) Joy Division (Décades) Stranglers (Hanging around) Gong (Camembert électrique) Nino Rotta (Amarcord)etc .

L’avenir de my concubine n’est pas le passage par un album concept ? On sent que cela pointe son nez (rires)

— Eric : Pourquoi pas ! Mais pour ce genre d’album, il faut un bon fil conducteur, à défaut on s’ennuie très vite, l’album ne tient pas la distance. Un album sans remplissage où tous les titres ont leur place, c’est déjà pas mal…

— Pascale : j’ai confiance, nos projets se précisent

La suite est elle déjà prête ou vous savourez enfin une sortie nationale ?

— Eric : La suite c’est se préparer pour la scène.

— Pascale : Là, pure question de logistique. Nous jouerons tous sur scène, question de préparation

Le mot de la fin est pour vous

— Eric : Ce n’est qu’un début ! Un très grand merci à ADA !

— Pascale : La France, et les Français, même quand ils sont en fait Italiens, haha, ont des ressources inépuisables