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Interview réalisée par via email avec Benoit Burello en février 2003

Avec près d’un an de recul, comment vois tu spacebox ? tout s’est plutôt bien passé dans l’ensemble

— C’est comme une photo assez fidèle de l’état d’esprit dans lequel j’étais musicalement à ce moment-là, mais aujourd’hui elle me paraît un peu datée, c’est un peu comme si je n’y reconnaissais pas vraiment les visages, un sentiment bizarre comme ça.

Ce qui m’a le plus frappé c’est l’aisance avec laquelle tu arrives à faire des morceaux presque pop, mais avec une structure plus proche du jazz. Comment parviens tu à créer ce mélange ? et t’es tu torturé l’esprit lors de l’écriture ou tout s’est fait naturellement ?

— Sûr, je me torture l’esprit, mais pas pour ça bizarrement ! Peut-être est-ce tout simplement que je suis incapable d’écrire un morceau pop avec une structure pop !

Ton disque a été très bien accueilli par la presse en général et je crois que tu as été beaucoup sollicité médiatiquement. Comment l’as-tu vécu, surtout que la musique que tu joues est très peu médiatisée ?

— Je ne me fais aucune illusion : je n’offre rien de très spectaculaire au vorace appétit de la presse. Sans l’enthousiasme et la générosité de certains (Richard Robert, Franck Vergeade, David Sanson), on n’aurait jamais entendu parler de moi.

Je sais pas si on te l’a déjà dit (humhum) mais spacebox ressemble a laughing stock ? pour dire même richard adams de hood m’a dit que ton disque ressemblait a laughing stock ? alors je pense que ça doit êtreassez flatteur pour toi, mais t’en as pas marre ?


— Richard Adams a écouté mon disque ? Incroyable. En fait j’adore Hood, c’est puissant, moelleux, urbain et champêtre à la fois. Pour revenir à Laughing stock, tu as vu juste : j’en ai un peu ras la casquette ; peut-être l’ai-je un peu cherché… évidemment je ne me plains pas, la flatterie me touche ! Là où ça m’irrite un peu, c’est que, autant j’admets que Newton Plum transpirait l’influence du disque de Mark Hollis, autant certains morceaux de Spacebox (the silent bees, polder one) ne me semblent absolument pas venir de cette musique-là.

Vers quelles voies aimerais tu amener Bed ? Parce qu’il y a quand même une sacrée différence entre the newton plum et spacebox ?

— Je voulais cette différence. J’aimerais aller vers une musique beaucoup plus charnue, granuleuse, riche, plus vivante, plus ouverte. J’aimerais me surprendre. Mais il y a du boulot.

En parlant de structures de jazz, comment composes tu ? Tu te bases dans un premier temps sur la rythmique basse/batterie ou c’est d’abord la mélodie qui prime ?

— Certains morceaux viennent d’une cellule rythmique (plainfield, the silent bees) qui devient ostinato à force d’être répétée. Parfois un élément purement rythmique ou un son (cymbales de the wood bunch) génère une ambiance et donc une succession harmonique. Mélodie et accords viennent ensuite en même temps.

La scène c’est important pour toi ? Tu t’entoures toujours des mêmes musiciens ou tu essayes d’ouvrir Bed à d’autres musiciens ?

— Disons que je ne suis pas boulimique de la scène. J’ai quand même un gros penchant pour cette espèce de solitude lumineuse de l’enregistrement. Au début il n’y avait pas vraiment de formation fixe dans Bed, c’était un peu suivant les disponibilités de chacun. Une des grandes nouveautés pour moi, disons depuis Spacebox, c’est la régularité du groupe, jouer avec les mêmes musiciens. Ils sont tellements incroyables tous les trois que des fois je crois rêver quand je me retrouve sur scène avec eux. Et du coup je n’ai pas trop envie de toucher à cet équilibre pour l’instant.

Dans quel endroit rêves tu de jouer un jour ?

— Quand je pense lieu, je pense prises de sons plus que concert. Choisir les lieux en fonction des instruments, un hangar en métal, une scène de théâtre boisée, une chapelle, et placer les micros. Ca, ça me fait rêver.

Que penses tu du disque de tes amis d’headpone ?

— Ils m’épatent ! C’est la crème des musiciens. Mitch (qui joue surtout des platines dans Headphone) est carrément à l’opposé du côté poseur de la plupart des turntablists, Charlie avec son son posé et plein de graves et Marc avec le côté sonique et arraché forment une belle paire guitares joliment contrastées, et Nicolas est un batteur incroyable (c’est le régal de jouer avec lui), tout en finesse et puissant à la fois. .

Comment te sens tu aujourd‚hui ?dominique a disait qu’il se sentait mieux a trente ans qu’à 20 ans ? la maturité est essentielle pour ta musique ?

— Je pense que je me sentirai mieux à 40 qu’à 30 ! Et la maturité attendra peut-être 70 ans pour arriver, qui sait ? Quand on voit l’éternel gamin Robert Wyatt toujours en train de jouer avec les mêmes petites pierres précieuses à 60 ans ! Je suis tombé une fois sur un article qui disait que j’avais attendu six ans avant de pondre Newton plum. C’est curieux. Non, pendant longtemps je ne voyais tout simplement pas l’intérêt de publier ma musique, je crois qu’elle n’était pas arrivée à son niveau minimal de maturité, tout simplement.

On est en plein débat autour du piratage sur internet, du téléchargement etc, comment vois tu cela ?

— C’est un débat entre libéraux et libéraux-libertaires. Le cas des premiers est vite vu, ce qui intéresse les maisons de disques n’a de secret pour personne. Par contre, les autres m’intéressent plus : dans l’idée que la musique est gratuite, qu’elle appartient à tout le monde, j’y vois surtout de mauvais relents : cette idée comme quoi, " par amour de la musique ", le musicien peut bien se sacrifier à la cause, tel un doux saltimbanque vivant d’amour et d’eau fraîche. Dans ce fatras libéral-libertaire, c’est surtout le retour nauséabond d’une vieille idée bien de droite. Malgré les apparences, les deux camps se ressemblent beaucoup. J’ai beaucoup plus de respect pour des gens comme Fugazi et le label Dischord : eux au moins ont une réflexion profonde et radicale sur la diffusion de leur musique, et depuis longtemps.

En lisant les interviews que tu as donné à droite et a gauche j’ai trouvé que tu sembles être un grand passionné de musique ?alors à l’heure où la musique est plus que jamais une histoire de gros sous, quels sont les gens qui te font vibrer ? crois tu que ta musique puisse exister sans celle des autres ? L’influence d’un artiste est elle forcement contraignante ?

— Evidemment la musique ne peut pas exister sans celle des autres, c’est une énorme imposture que de prétendre le contraire. Je suis tout sauf mystique. La musique ne vient pas des astres, elle ne traverse pas quelques " élus " touchés par la grâce ! Non, c’est un artisanat, c’est beaucoup plus terrien que ça. J’écoute beaucoup de musique, je découvre tout le temps des trucs incroyables, je suis effectivement stupéfait des choses qu’on peut encore inventer avec les douze sons de la gamme. Ce qui me laisse sans voix : Lambchop en concert, les silences de Paul Bley, la douce folie d’Arto Lindsay, le son de Steve Lacy, la splendide solitude de Mark Kozelek et bien d’autres choses encore .

Tout est acoustique sur spacebox ? serais tu tenté par l’usage d’éléments électroniques ?


— Il y a quelques samples sur Spacebox, il y en avait davantage sur The Newton Plum . Mais c’est curieux, je ne fais pas une distinction énorme entre instruments acoustiques, électriques ou électroniques : quand j’ai besoin de quelque chose, je me sers. Justement, Hood organise ça très bien, on ne se pose pas cette question en les écoutant : c’est organique, et c’est beaucoup.

As-tu déjà pleuré en écoutant de la musique ?

— C’est vrai, des fois j’ai des petits frissons délicieux au coin des paupières, j’avoue.

Dernière question ton top ten de tous les temps

— Chet Baker/Paul Bley " / Diane " Gil Evans " Out of the cool" / Pink Floyd " The piper at the gates of dawn " / Talk Talk " Spirit of Eden " / Sonic Youth " Daydream nation " / King Crimson " Red " / Ornette Coleman " The great London concert " / Michael Mantler " The hapless child " / Red House Painters " red house painters (bridge) " / Robert Wyatt " Old rottenhat "