> Interviews



Interview réalisée par mail le 24/10/06

Exilé à Lisbonne plus par envie que par la force des choses, Noah Lennox se voit aisément dans les Palais de la Sintra, traversant toutes les pièces en chantant son nouveau single " Bros ". Depuis le fantastique " Young Prayer " composé en réaction à la mort de son père, Noah est sorti de l’acoustique pour aller voir des contrées plus spychédéliques et plus pop. Gentiment il nous a accordé quelques minutes de son temps entre la finition de l’enregistrement de son nouvel album sous Panda Bear, et son esprit déjà tourné vers le nouveau Animal Collective. " Hey man what’s the problem ? ".

Noah tu vas sortir début décembre ton nouvel EP " Bro’s " sur Fat Cat. Il est dans la continuité de l’EP " Comfy In Nautica/I’m Not ", est ce à dire que l’album sera du même acabit, soit un disque de pop ?

— Oui tout à fait. Même si je pense que beaucoup de personnes ne le trouveront pas si pop que cela. Mais c’est exactement ce à quoi je souhaite qu’il ressemble et je suis content que certaines personnes le voient comme cela. D’ailleurs ces morceaux seront tous sur le prochain album. J’avais vraiment envie, surtout après un disque comme " Young Prayer ", de faire quelque chose de plus cool, pas si sérieux que cela et surtout plus facile.

Ce n’est pas un peu effrayant d’être désormais attendu au tournant aussi bien en solo qu’avec Animal Collective ?

— Non pas vraiment. Et j’essaye de ne pas voir les choses sous cet aspect. J’essaye de prendre du plaisir dans ce que je fais. Après si les gens n’aiment pas, ou n’adhèrent pas à ma musique, je m’en fiche un peu. Il y a beaucoup de choses pour lesquelles j’ai énormément de respect mais qui ne me touchent pas particulièrement, donc je suppose que les gens peuvent réagir de la même manière à ma musique. Nous avons beaucoup discuté avec ma femme (elle fait de la musique) à ce propos. Tu peux sortir une merde immonde et tout le monde va l’adorer ou faire un grand disque, mettre toute ton âme dedans et t’entendre dire que c’est naze et inutile. Ce qui m’effraie réellement c’est de ne pas pouvoir mener à bout un projet qui me ferait vraiment envie.

" Young Prayer " est sorti il y a plus de deux ans. L’as-tu réécouté depuis ? Comment le vois tu avec du recul ?

— Je ne crois l’avoir réécouté depuis les gars m’ont envoyé leurs versions mixés du disque. Je savais que ce serait très dur et sûrement même trop dur à écouter, mais quelque part c’est peut être aussi ce que je recherchais. Ce sont vraiment des moments difficiles et je voulais faire un disque qui reflète tous mes sentiments du moment et la tristesse de perdre quelqu’un. C’est assez difficile à expliquer, mais je devais le faire et je suis très content du résultat. J’étais très touché d’avoir Joshmin sur ce disque car c’est un vieil et très bon ami et il connaît ma famille depuis très longtemps. En fait le but de ma démarche et de mon état d’esprit était de faire un disque qui soit le plus vrai possible. Finalement ce disque est vraiment imparfait et le son est parfois pourri, mais c’est comme ça.

Tu peux nous parler un peu de " Jane " ? Tu décris votre musique comme " dance music "…

— Oui je l’ai effectivement décrite comme cela, car c’est simplement une musique qui me fait danser. La musique que nous faisons avec Scott a pour but de faire danser les gens. Elle doit également nous faire danser, surtout quand nous enregistrons. Nous avons été pas mal inspiré par la house, la techno et ce genre de choses. Scott est DJ depuis longtemps maintenant, donc comme il utilise beaucoup ses platines et ça nous a forcé, quelque part, à établir une certaine méthode qui me plait. Je travaille beaucoup sur les rythmes et les sons que Scott fait. Ca représente environ 60% du boulot et j’essaye de m’inspirer de ce que peuvent faire les musiciens jamaïcains.

Tu habites à Lisbonne, qu’est ce que cela a changé ?

— Ca a tout changé et je crois vraiment que quand tu es amené à créer quelque chose, ton environnement une partie importante de la création. Sur les premiers albums d’Animal Collective, je ressens énormément l’influence de l’endroit où nous vivions à l’époque. J’ai vécu cinq ans à New York avant de venir à Lisbonne, et c’est totalement l’opposé. Tout le monde ne court pas dans tous les sens. Ici on accorde de l’importance au temps et à chacun, ce qui est très agréable. Surtout si tu es une personne comme moi qui aime quand c’est plutôt calme. Le nouvel album est très influencé par Lisbonne et je suis vraiment content.

Justement peux tu nous parler un peu de la manière dont tu enregistres ce nouveau disque ?

— Récemment tous les morceaux se sont construits quasiment de la même manière. Quand j’ai emménagé à Lisbonne, je ne voulais pas emmener tout mon attirail, alors j’ai pris deux samplers, un micro et mon ordinateur. Je m’en sers comme d’un enregistreur. Je passe beaucoup de temps à sampler ce que j’aime et j’essaye de modifier le son ou au moins de le rendre différent pour ne pas me mettre dans l’illégalité. Ensuite je prends beaucoup de temps pour écouter ces samples et ensuite la mélodie et la chanson se créent naturellement autour du sample. Certains passages se révèlent inutilisables, mais pour ceux que je garde, je travaille encore plus dessus pour les rendre meilleurs. Et je m’impose une date butoir en programmant un concert ou autre chose. Ca m’aide à mettre les choses à plat et à prendre des décisions, car j’ai des problèmes avec certains choix. Sinon je pense que j’essaierai de rendre toujours le morceau meilleur pour le rendre, finalement, inécoutable. J’ai vraiment l’impression que mes nouvelles expériences au Portugal, ont totalement imprégnées ce nouveau disque, comme je te le disais. C’est difficile à expliquer, mais sans Lisbonne je n’aurai pas pu faire ce disque. Il y a beaucoup de soleil ici et le temps est presque tropical. Et à chaque fois que j’écoute les chansons, Lisbonne me vient à l’esprit.

Tu sembles donc travailler pas mal tes morceaux, y a-t-il également une part d’improvisation ?

— Oui quand même, on essaye de mêler les deux. Je ne suis pas très intéressé par la musique improvisée, en tout cas la pure et dure. Je pense que Dave et moi sommes très orientés songwriting. Donc la chanson et sa forme sont réellement mes points de départ. Et en même temps un format ou une répétition de format peut s’avérer très ennuyeux. C’est plus drôle d’essayer de varier, de construire de nouvelles structures. Avec Animal Collective nous essayons de créer des choses moins structurées (le plus souvent) ou parfois de structurer des choses qui, à la base, ne le sont pas. Faire un concert est encore différent et pour moi le format et la structure ne sont plus tout à fait nécessaires. Ecrire une chanson est un plus un processus mental, tout vient de ta tête et de ton cœur, alors que sur scène c’est plus viril, couillu (ne pas hésiter à se lâcher quand le morceau le veut, ne pas avoir peur d’être ridicule ou ce genre de choses). Se donner pour le public, sans trop y penser en quelque sorte. Désolé d’avoir été un peu rude, je n’aime pas trop penser ma musique en ces termes.

Ta musique a beaucoup évolué depuis vos débuts.

— Oui et j’espère. Et c’est bien d’ailleurs. On s’ennuie très vite des mêmes choses, donc tout change très vite chez nous. Et puis comme beaucoup de choses positives nous arrivent, ce serait bête de ne pas aller les explorer. Mais parfois j’ai l’impression que tous ces changements perturbent un peu les gens. Avec Animal Collective on a eu tendance à calmer notre musique, mais je pense que c’est juste le reflet de ce que nous sommes maintenant et de ce que nous sommes devenus. D’un certain côté, je serai très excité de revenir à quelque chose de plus sauvage et de moins lisse, et d’un autre je trouve que c’est inutile de se forcer à faire quelque chose et juste laisser les choses se faire par elles mêmes. Je ne crois pas qu’il faille brusquer les choses, mais ce n’est pas de la feignantise, au contraire.

Est-ce qu’un jour tu pourrais refaire un disque tout en acoustique ?

— Je ne sais pas trop, mais je ne pense tout de suite. J’en ai un peu marre. Et en plus ma guitare est cassée. Je suis vraiment plus intéressé par l’utilisation de mes samplers et tant que je ne les aurai pas flingué, je m’en servirai. J’ai aussi une sorte de batterie électronique, donc j’essaye de m’y mettre, et de maîtriser tous les effets que cela met à ma disposition. J’ai vraiment envie d’un son amplifié. De tous les disques acoustiques que l’on a enregistré " Campfire Songs " est celui que je préfère et peut être que nous ne ferons jamais plus aucun aussi bon album acoustique.

Vous semblez être dans un état second sur scène.

— Je suis totalement différent sur scène, bouillant, ailleurs, mais je suppose que c’est pour tout le monde pareil. Je pense que c’est toute l’énergie des gens qui nous rend comme ça, en plus de notre énergie de groupe. C’est vraiment intense comme sensation. C’est comme un melting pot d’intensité. J’essaye de me concentrer sur le son et sur ce que je fais, et de donner un bon concert. Si les choses se déroulent mal, surtout avec notre matériel, ça m’énerve réellement et je n’essaye pas de le cacher ou de dire que tout est sous control, car je n’aime pas ça. Je pense que cette situation fait partie du spectacle.

Et ce n’était pas trop dur de jouer " Young Prayer " sur scène ?

— Oh si c’était très dur. Pour être honnête, je n’aimais pas ça du tout, et c’était un vrai challenge pour moi. Le premier a été le pire. C’est un concert caritatif pour mon ami Rob Carmichael et j’étais en premier partie de Black Dice. La plupart des gens étaient là pour les voir, alors quand j’ai commencé à jouer les gens parlaient beaucoup et ils n’étaient pas très content de me voir uniquement avec ma guitare et ma voix. Mais j’étais fier de moi une fois terminé. Tous les concerts pour " Young Prayer " étaient relativement courts. J’en ai fait un avec Dave à Bard College, au cours du quel il jouait des samples du disque et moi je jouais le morceau par-dessus. C’était génial. Mais le sujet du disque était si intense et particulier pour moi à cette époque, qu’une fois qu’on a eu terminé, je n’ai plus voulu jouer " Young Player ".

Vous jouez souvent de nouveaux morceaux sur scène. C’est pour les tester ?

— Ce n’est pas trop pour les tester, mais plutôt pour les améliorer. Quand on fait des tournées avec quelques nouveaux morceaux, ils ont souvent changé à la fin. A force de les jouer, tu prends du recul et tu commences à ajouter des petites touches, tu les fais évoluer même en les jouant et avec un peu de chance elles peuvent devenir bien meilleures. Quand nous étions plus jeunes, nous adorions voir nos groupes préférés jouer de nouveaux morceaux. Donc on essaye de penser à tout cela.

Ca vous arrive d’improviser sur scène ?

— De temps en temps. Généralement les parties les plus improvisées, sont les transitions entre les morceaux et ça a toujours été le cas. Mais aujourd’hui nous jouons de plus en plus de morceaux pendant nos concerts, donc on a moins de temps pour improviser. Au tout début on jouait pendant 15-20 minutes et à chaque fois de nouveaux morceaux. La plupart du temps nous n’avions même pas répété avant, donc c’était beaucoup plus improvisé et plus bordélique. Les nouveaux morceaux peuvent également évoluer grâce à le de l’improvisation sur scène.

Vous vous occupez toujours de Paw Tracks ? Ariel Pink est fantastique.

— Oui Ariel est le meilleur sans aucun doute. On n’a malheureusement pas eu trop le temps de s’en occuper ces derniers temps, mais on en discute souvent. En ce moment c’est même un de nos principaux sujets de conversation. Savoir les artistes dont on a envie de sortir des disques, des trucs comme ça. En plus je sors mon nouvel album en mars sur Paw Tracks donc quelque part je m’y implique.

Vous avez joué avec Animal Collective, lors d’une session sur la BBC, un morceau s’intitulant " Bonefire " qui ressemble à une chanson de Panda Bear.

— Oui exactement, à la base je l’ai créée pour Panda Bear. Je l’ai joué lors de concerts à Lisbonne et aussi pendant ma tournée avec Ariel, il y a à peu près un an. Quand on joué pour la BBC, on voulait faire des morceaux dont on savait qu’on ne les jouerait pas sur scène ou qu’on les sortirait sur disque. Donc ce morceau tombé à point nommé. On a pensé la mettre sur le prochain Animal Collective, mais nous avons finalement abandonné l’idée. Du coup il ne sera disponible que sur cette session. J’aime vraiment cette session et ce morceau. Quand je le jouais avec Panda Bear il s’intitulait " Bonfire of the Vanities " d’après ce livre que je n’ai jamais lu, mais mon père l’avait. J’ai toujours pensé que c’était un titre étrange et donc j’ai écrit la chanson qui parle du fait de me battre avec une personne que je connais à peine, uniquement pour une histoire de fierté, du coup le titre " Bonfire of the Vanities " collait bien.

Est-ce que tu n’en as pas marre d’être lié à cette scène New Yorkaise ? La plupart des groupes sont bien différents les uns des autres.

— Oui je suis d’accord. Tous les groupes qui ont cette étiquette sont vraiment différents les uns des autres. Mais je trouve ça intéressant de parler de scène et ce genre de choses et je comprends très bien pourquoi les gens le font. Ca ne me dérange pas du tout. En plus je me sens très proche de New York, c’est une partie importante de ce que je suis et le sera toujours. Et il y a pire comme étiquette. J’y retournerai peut être un jour, tous mes amis sont là bas.

Tu accordes de l’importance aux paroles de tes chansons ?

— Oui c’est très important. J’ai tendance à mettre ma voix en recul sur les enregistrements, et je sais que c’est très dur de comprendre ce que je dis. Mais je sais ce que je raconte donc c’est clair que c’est très important pour moi. Ces derniers jours j’ai eu vraiment du mal à écrire des paroles, car je ne trouvais pas de sujet qui me tienne à cœur. La plupart du temps je parle de mes relations avec ma famille ou mes amis. Et Dave et moi avons deux écritures totalement différentes. Mais j’aime ça c’est comme un plat aigre doux, ou des gâteaux et de la glace. Généralement j’écris des choses simples parce que j’aime ça et que c’est sensé pour moi. Je pense que ça remonte à mes lectures d’Emily Dickinson au lycée. Etre assis en classe et être abasourdit par ses aspects directs, purs et sophistiqués à la fois. Je pense être dans cette mouvance ces derniers temps. Pas de non sens.

Quels sont tes futurs projets ?

— Je vais finir l’album de Panda Bear d’ici un mois je pense. Donc il devrait sortir en Mars. Ca fait longtemps que ça traîne, mais j’ai eu à le repousser plusieurs fois pour différents problèmes. Je suis vraiment impatient qu’il sorte. J’espère que les gens l’aimeront. Avec Animal Collective, nous allons enregistrer en Janvier dans le désert, donc j’imagine que le disque sortira vers al fin de l’été 2007. Et il y a deux morceaux du nouvel album de Panda Bear qui vont sortir bientôt : " Bros " dont tu parlais le 04 Décembre sur Fat Cat et en janvier un split avec Excepter sur Paw Tracks. J’espère pouvoir faire une tournée Panda Bear aux USA et en Europe l’année prochaine, mais Animal Collective est plus important pour moi donc si je n’ai pas le temps je ne la ferai pas.