En parcourant ce matin de vieux articles qui lui étaient dédiés, je suis tombé sur cette marrante (et navrante) description introductive : « Elle a 27 ans, une blondeur paille ébouriffée et des joues à croquer. » C’était en 2012, dans La Dépêche, à l’occasion de la sortie de Pas Fragile, le premier album de Buridane. Des joues à croquer. Peut-être que l’âne indécis du philosophe Joannes Buridanus ne se serait pas laissé mourir si dans un des deux seaux qu’on lui proposait, en lieu et place d’avoine se trouvaient ces fameuses joues à croquer. Promis, si un jour je dois évoquer l’œuvre de Rag’n’Bone Man, ce sera en commençant ainsi : « Il a 38 ans, une grosse barbe et des joues à croquer ». La classe, non ?

Nonobstant la maladresse de mon confrère, j’ai également constaté qu’au fil des chroniques Buridane s’appelait aussi bien Marelle Clément, Anne-Gaëlle Bisquay que July Collignon. Il y a dans l’air du Fernando Pessoa (sur le sujet de l’hétéronymie, lire Une Malle Pleine de Gens, d’Antonio Tabucchi), et ça me plaît beaucoup, moi qui aime tant les mystères et les enquêtes : fantômes présents et passés s’unissent dans un troisième album produit et arrangé par Féloche, paru au printemps dernier et particulièrement remarqué par la critique.

En effet, Colette Fantôme narre les tourments et atermoiements d’une grand-tante qu’elle n’a pas connue, religieuse à la féminité refrénée, décédée lors d’un accident de voiture à l’aube de sa vie, d’une vie à peine vécue et pourtant intérieurement bouillonnante. S’ensuit, entre Colette et Buridane, un passionnant dialogue, jeu de miroirs à travers le temps et l’espace : de Total fiasco à Tombeau, en passant par un Pourquoi tu m’fais pas coécrit avec Pauline Croze, en dix titres pop atmosphérique chantés avec délicatesse, d’une voix légèrement voilée, Buridane égrène troubles et questionnements, dans une langue à la poésie moderne, citant Andreï Tarkovski et Virginia Woolf. On est bien dans la variété française de qualité, émouvante et néanmoins lettrée, une belle réussite.