Le cœur d’un chroniqueur est un radar : quand un missile musical pénètre son espace sonore, il se met à vibrer plus fort et, quand ça arrive, il alerte alors le cerveau, qui tend les oreilles et se dit : « ouah, j’ai de la chance ! ». On n’en dira pas autant des passagers du Tupolev-Tu144 qui, en 1973, se crasha au Bourget lors d’un vol de démonstration – il s’agissait pour l’URSS de démontrer les mérites de son Concordski, supposé concurrencer (espionnage à l’appui) le roi des airs de l’époque, le Concorde franco-britannique.
Pour Eugénie Leber, le choix d’un tel pseudonyme ne semble pas anodin, au vu de : 1/ son goût pour l’esthétique Alexanderplatz early 80s. 2/ son patronyme lorsqu’elle était bassiste pour Marc Desse, AV et Batist & The 73’ – Eugénie Goloschapov. 3/ son affection pour les véhicules en tous genres, en témoignent les titres « Intercité », « Apollo » et « HMS Scarborough » (et, si on extrapole, une « Bayonette » nous véhiculera vers la mort et un « Cardigan » vers la douceur).
Cette cohérence visuelle et sémantique est perceptible jusque dans les compositions millimétrées du premier EP éponyme de Concordski, produit par Peter Méfiance (claviériste de Gomina) et publié par le label caennais WeWant2Record.
En effet, les références sont lisibles, assumées tels des clins d’œil révérencieusement taquins et le registre minimaliste – synthwave (voire rave) chantée en français sur fond de boîtes à rythmes qui claquent – nous ramène vers une certaine idée de la pop électronique des 80s (Elli et Jacno en tête), mais l’adjonction d’un esprit bauhaus (le style, pas le groupe), le détachement mélancolique de la voix d’Eugénie – souvent doublée et dont le phrasé oscille entre Daho et Vive La Fête – ainsi que des arrangements surprenants (basse funky et claviers à la Midnight Juggernauts sur « Bayonette ») confèrent un cachet arty à la passionnante démarche de Concordski, le curseur emphatique idéalement placé entre frontalité et accessibilité – dans un monde meilleur, « Intercité » devrait tout casser à la radio. Et dans un monde pourri aussi, alors prenons les paris : cet hiver, on entendra Concordski sur France Inter.