C’est dans un halo de lumière que le profil de Karen Lano nous apparaît. Dans une clairière, elle avance vers une chapelle au parvis de laquelle deux troubadours espiègles lui proposent de l’aider dans sa quête d’une folk musique qui tout en se plongeant dans les méandres de son âme pourrait nous irradier en laissant une lumière passer entre les aspérités.
Dans la lignée d’un groupe comme Tarnation (La Robe Blanche / Ma Douce), Karen Lano possède deux atouts qui font de « Muses » un disque stellaire et envoûtant (« La Balançoire » comme si Kristin Hersh prenait ses quartiers d’hiver dans une forêt vosgienne). Déjà une voix aux dimensions multiples qui ne tombe jamais dans le démonstratif, sachant se poser avec une justesse infinie, même quand une forme de possession par le texte semble la prendre (Mélopée). Ensuite, il y a cette musique, une folk habitée (Sirocco) qui se transcende atteignant une dimension presque liturgique (avec l’épique « Ophélie » ).
Mais sous ce panorama presque idyllique se cache des fêlures, une mélancolie si profonde qu’elle transperce, même quand elle se joue de la tristesse en lui préférant une danse bravache comme pour éloigner le mauvais sort, les mauvaises pensées (L’Ange).
« Muses » n’est définitivement pas un disque comme les autres, ce n’est pas un disque de plus, c’est un disque divin, qui avec simplicité, mais précaution, peut se targuer de s’inscrire dans une tradition (Pegase) tout en marquant cette histoire pourtant déjà longue. Si on pouvait craindre que l’univers des Facteurs Chevaux prenne le pas sur celui de Karen Lano, cette crainte volerait en éclats, les deux univers se parlant avec une justesse qui n’a d’égal que la profondeur de ces morceaux intemporels (« Muse » qui n’est pas sans faire penser à Camille quand celle-ci ne dépasse pas nos limites).
C’est un disque d’un autre temps, d’une autre époque, un conte musical dans lequel il est impossible de ne pas entrer afin de quitter le monde présent (L’Ange), au moins le temps de ces chansons. À contre temps de cette époque sans limite, Karen Lano nous offre un moment qui nous élève (le monumental « Nuit » à écouter les yeux offerts à la contemplation le frisson nous parcourant) avec force et légèreté, alors que dehors, tout semble s’étirer jusqu’à tout déchirer. Prodigieux.