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Décembre, l’heure de dresser le bilan, la table de Noel, la liste des cadeaux et celle des résolutions pour l’année nouvelle. Inutile de tourner autour du pot, sans pour autant insulter l’avenir qui peut toujours nous réserver de bonnes surprises, mais c’est peut être mon dernier bilan après presque une vingtaine d’années à dresser des listes, prendre des résolutions et tresser des lauriers autour de ce que nous avons le droit d’appeler la musique pas comme les autres, comme un hommage à faire pendant qu’il est encore temps, cette année confirmant que beaucoup de choses peuvent s’arrêter brutalement.

Il fallait une démarche, mettre à l’amende son responsable interne de la comptabilité pour rembourser celui des songes et des plaisirs. Incarcérer la froide mécanique du juge castrateur, pour gracier à jamais celui que l’on freine de peur de se prendre la lave visqueuse des donneurs de leçon. Il fallait un cadre, mais très vite il tombera à terre, se fracassant au grand damne que la raison qui avec sa froideur habituelle appelle au formalisme et au pragmatisme éloigné des désirs.

Indéniablement en s’éloignant de son corps, PJ Harvey s’intéresse à celui du monde. Musicienne légiste d’un monde en perdition, elle invente un orchestre du chaos, jouant tel celui du Titanic alors que tout s’écroule, donnant à sa musique un rôle d’oraison funèbre tout aussi macabre que dépourvu d’une once de cynisme. Son rapport d’expertise est impitoyable, beau, glaçant et impitoyable, nous allons vers notre fin, mais ne vous plaigniez pas et regardez-vous dans le miroir.

Dans la glace Radiohead a tellement déformé son image que cela en devenait informe, frisant une forme de nihilisme musical poseur et en tout point vierge de toute attraction. Son retour dans le monde est en tout point remarquable, claquant la poste sur les doigts de son pédantisme pour ouvrir un chapitre neuf et au combien attrayant. Sans bruler totalement son passé, Radiohead vient de nous réconcilier avec son avenir.

L’avenir il n’en sera plus question pour Bowie, et son dernier monolithe noir est le dernier coup de théâtre Brechtien aux allures de salle de bal d’un empire en déconfiture. Avec une classe jamais morbide en tout point froide, il quitte définitivement le monde des vivants pour planter dans le ciel ce que personne ne pourra détruire faute de plan, car une étoile noire construite par Bowie est une énigme aussi grande que la construction des pyramides.

Il ne faut pas insulter l’avenir que je vous disais plus haut, alors vomissons quand même sur le passé, celui du rejet par conformisme et pour marcher dans les pas d’une frange étriquée et peine à jouir. Le disque le plus écouté de l’année comme un pied de nez à mes certitudes, une ballade dans un monde où les Little Rabbits auraient tourné un film avec Cecil B. DeMille avec un budget confié au directeur marketing de Leader Price. La Femme a choisi de nous gratter de partout, de nous chatouiller la mémoire, de nous questionner béatement tout en plaquant des couches d’émotions comme les dévots posent des fines pellicules d’or sur les façades des temples décrépis.

En cassant une résolution j’ai fondu sous la mélancolie d’une fossette et du sourire le plus charmant et vibrant depuis celui de Dutronc dans Van Gogh. Les écailles de partout, les questions sans les réponses, la rencontre se refera une fin d’après-midi. Le chapeau impeccable et l’œil ouvert quand les cordes tremblent, Miossec est parvenu à me reparler dans la chaleur d’une nouvelle maison, celle lézardée et fragile de nos illusions qu’il se charge de disséminer les graines tel un jardinier sauveur de plantes.

Voici maintenant le moment de vous présenter la substantifique moelle de mon année musicale, dans un ordre aléatoire aiguisant, je l’espère, la gourmandise, en vous souhaitant la prochaine très bonne, avec ou sans moi, n’insultons pas l’avenir.

Minor Victories “Minor Victories”

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Inutile de vous donner des pistes de références, il y a celles des protagonistes qui en disent déjà long sur les possibles couleurs du disque. Inutile de chercher ailleurs trace d’un tel disque, sa construction hybride en fait un objet unique, sa réalisation une aventure grisante. Victoire majeure. Énorme.

Follow Me Not “Nothing Comes With a Smile”

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En dix morceaux Nicolas nous aura donné envie de revenir à la genèse de ce coup de maitre, à ses travaux dans l’ombre, car même si Follow Me Not ne cherche pas la lumière, celle ci devrait se pointer sur lui. Enorme coup de cœur.

Boyarin “s/t”

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Il y a dans ce disque de Boyarin la grâce de l’enfance quand celle-ci a ses premiers émois en écoutant une musique, se frottant à elle en essayant de la reproduire avec les moyens du bord, y ajoutant une poésie volontaire ou non, mais surtout une fraicheur régénératrice, comme celle recherchée par les moutons sous ses arbres bloquant les rayons du soleil. Un disque à la méticulosité innée, un disque intime, bouleversant, que l’on aimerait garder pour soi, mais qui appelle au partage. Émouvant paradoxe de la grandeur de celui qui se pensait petit.

Lusts “Illuminations”

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On pourra trouver des esprits grincheux qui trouveront dans ces morceaux des emprunts évidents au passé, à ceux-là il faudra juste dire que premièrement nous ne sommes que le résultat d’emprunt, et surtout que de ne pas bouder un plaisir évident et à partager est une preuve d’intelligence, au moins de bienveillance, comme celle qu’un coach Italien a depuis des années avec le foot. Leicester capital du foot et de l’indiepop anglaise. Formidable

Dinno “EP”

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Car si les cinq morceaux semblent couler de source, le travail qui se cache derrière ces perles d’un autre temps, d’un autre âge, d’une autre planète, peine à se cacher, travail hallucinant, qui ajouté à une écriture lumineuse, font que ce EP de Dinno n’est pas une étoile filante de mauvais augure pour des reptiles gigantesques, mais la promesse d’un avenir flamboyant. Vous cherchez le EP de l’année, je viens de vous le présenter.

Montoya “On the Hill”

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Frisson assuré (War ans Opera), hymne pour la traversée rapide d’une autoroute maritime (We Are On The Hill), tube imparable (Mengo) et écriture panoramique (Tightrope Walkers) tout est dans ce EP pour vous faire chavirer. Moi je suis sur mon radeau médusé.

Christine Ott “Only Silence Remains”

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Alors l’histoire que nous narre ce disque n’est probablement pas celle que je me fais en l’écoutant. Que comme chez Yan Tiersen, avec qui Christine Ott a travaillé, l’imaginaire a le droit d’habiller cette musique. Que Christine Ott nous offre la chance de devenir un narrateur, ou dans mon cas, un adolescent qui a enfin la chance de sentir sur la peau, le souffle du premier pas sur l’astre des poètes. Une rencontre entre des sons, des mélodies et un rêve d’enfant. Magnifique.

Winter By Lake “The Journey of Mister Wine”

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Nicolas Cancel rejoint avec ce nouvel album un cercle très fermé de songwriters éminents, pouvant cousiner sans peine avec David Freel et son Swell, tant les deux univers semblent proches jusque dans le chant, dans la façon de poser la voix. Il signe un précis de Folktronica (c’est l’étiquette) sans une seule seconde démonstrative, se mettant aux services de la musique et ses chansons, elles-mêmes à notre service, à telle enseigne que nous en aurions oublié de louer celui-ci.

"The Journey of Mister Wine" ou le liant réparant les lignes de fracture entre le passé le présent ou le futur, un disque sans époque, sans date, donc complètement universel. Foncez donc dans la minutie jubilatoire de Winter By Lake.

Old Mountain Station
“Shapes”

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Si je cherchais un angle, j’ai trouvé l’écho, le son que celui m’aura renvoyé, un son plein de nostalgie d’une certaine idée de la musique, de mélancolie, d’amour de l’ouvrage, aussi touchant qu’universel. Old Mountain Station confirme qu’il est un des groupes les plus irradiants de notre beau pays, et comme pour les rayons du soleil il nous réchauffe suivant l’angle avec lequel nous le prenons ; chouette je crois qu’enfin je l’ai trouvé.

Dead Rabbits
“Everything Is a Lie”

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Avec un maniérisme charmant des emprunts évidents, le Dead Rabbits est la très bonne nouvelle nous arrivant de chez Peter Shilton. Avec ce disque qui sait s’approprier une part du passé, le groupe réussit le coup de force qu’Interpol était parvenu à réussir avec son premier disque, être un marqueur de son époque sans la réinventer. Des lapins morts qui gambadent comme des fous dans un univers lourd et détonnant, c’est ce que les Anglais nous ont proposé de meilleur depuis quelques mois. Des lapins malins.

The Slow Show “Dream Darling”

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Alors que dans le même temps Nick Cave tente de se détacher de l’horreur en lui foutant la trouille, ce quintet anglais tente et arrive à nous charmer avec la mélancolie et les envies de partir. The Slow Show s’inscrit dans une lignée de tronches cassées à la corde sensible, prenant la tête des désespérés aux grains précieux. Magnifique

J&L Defer “No Map”

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"No Map" est une anomalie heureuse dans ces paysages formatés pour répondre aux attentes des radars qui nous guident, un disque de la perte des repères, un disque qui construit une alternative érudite et poignante à la facilité contemporaine. Un des disques de l’année, à rendre fier un Président loin lui aussi des stéréotypes....Nowhere.

The Crumble Factory “Betsy Cha cha”

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Voilà je termine dans le fond comme j’ai commencé, dans l’incapacité de vous dire pourquoi ce disque est un bijou. Pourquoi il faut se le procurer. Pourquoi tout le monde devrait l’écouter plutôt que de tomber dans les productions entre neurasthénie accablante et dissonances à peine crédibles. Crumble Factory signe un disque qui rend fan (un rien fou aussi...de bonheur), et comme un fan béat d’admiration, je vais vous laisser, ma béatitude sur le visage, et une retranscription écrite des plus chaotiques en guise de proposition au partage.

Julien Bouchard “Songs From la Chambre”

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J’ai tellement adoré me planter face à vos chansons que la conclusion de l’album est un parfait alibi pour moi. Oui, j’ai décidé de « prendre le temps », chose que vous avez fait pour écrire ce disque, juste assez, avant de rendre les clefs de l’appartement que j’imagine, lumineux pour les mélodies, s’ouvrant sur un horizon fortement influencé par un ciel changeant mais jamais totalement uniforme. Et à l’image de cet insecte du paradis, vous avez touché du doigt et de la voix ce qu’est le beau, sans malice, mais avec un énorme talent.

Schvédranne “Athenes ?”

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Le monde est dans ce disque, par les sons, par les mots, par la grandeur d’âme de ces deux voyageurs qui réalisent avec « Athènes ? » un calligramme dessiné par des estampes musicales aux odeurs lointaines, par des épîtres pleines de sagesse et d’amour et de violence. A vous maintenant de le porter.

Selen Peacock “Elastic Memories”

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Il y a dans la musique de Selen Peacock un plaisir évident, de partager (les refrains sont des moments de partages réjouissant), de se promener dans des rues pavées du jazz (Currents of Love) jusqu’aux ruelles d’un brass band mélancolique qui protégerait avec un parapluie musical une mèche qui ne demande qu’à s’enflammer sans provoquer le fracas (Currents of Love). Même le flow west coast (Landing (song for Nils)) semble être dans les gènes de ce quintette qui n’e fait qu’à sa tête, se promenant, comme des troubadours autour du monde, sachant nous émouvoir, nous charmer, nous faire bouger, nous faire tout oublier le temps d’un disque qui lui va rester longtemps imprimé dans nos mémoires.

Dionysos “Vampire en Pyjama”

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Le « Vampire en Pyjama » passera entre les troues de la bobine d’un film de Murnau(l’inquiétante et prenante « Dame Oclès ») pour nous offrir ce disque aux reliefs étonnants, ceux d’un groupe qui est donc né une seconde fois, le retour du mini Jedi d’un mettre soixante six, dans un western dans la savane du petit lion, se jouant de la mort avec le courage d’un petit enfant au cœur à remonter, avec l’âme d’un « Guerrier de Porcelaine ». Dionysos est né deux fois. C’est beau et joyeux une naissance, même au milieu de la peur. Chapeau.

Tropical Horses “Mirador”

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C’est épuisant mais jamais contrariant, sauf sur sa faculté à ne pas passer chez un vendeur d’appareil auditif suite à une écoute au volume déraisonnable. Pas de tropiques à l’horizon, même les oiseaux semblent ici migrer sous le son d’un clavier en rupture totale avec la raison. Disque malade mais addictif, nous pouvons parler d’une drogue dure, d’une geôlier machiavélique mais jamais sournois, qui quand il s’accoquine avec l’after punk, lui donne aussi des sueurs froides. Diabolique.

Holy Esque “At Hope’s Ravine”

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Pat Hynes se débat avec aplomb comme un Ian Mc Culloch (qui lui a surtout à se débattre avec son égo) qui aurait tué son fils illégitime de Coldplay pour en trouver un plus présentable et estimable. Car Holy Esque est une sensation véritable dévalant comme un beau diable sur des sommets qui pourraient rapidement ne pas être assez haut pour lui, tellement ce groupe écrase les distances et les obstacles avec une facilité, une maitrise et un talent rare. Un disque qui fait et fera du bien à ceux qui aiment gouter des plaisirs passés dans le confort du présent. Enorme.

Matt Elliott “The Calm Before”

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Tel un navigateur à quai, ressassant ses affres en écoutant des drinking songs pesantes, Matt Elliott rejoint des capitaines mélancoliques comme le Mark Eitzel de 60 Watt Silver Lining, avec une fausse épure, celle des esthètes du mouvement, ces orfèvres. Il y a une humanité telle dans ce disque qu’elle nous oblige presque à nous protéger d’elle, plus habitués que nous sommes à des voyages factices, sans les premiers embruns d’avant les vagues monstrueuses. The Calm Before est une tout aussi sombre que libérateur, tout aussi irradiant que ténébreux, est c’est peut être dans ce paysage de tempête intériorisée que Matt Elliott nous offre sa part la plus intime, la plus forte, la plus chavirante pour le frêle esquif qu’est notre âme. La tempête sereine, le calme destructeur. Matt Elliott a son sommet.

The Scrap Dealers “After a Thousand”

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C’est avec le trés lourd et long « I Lost My Faith » que ce terminera ce voyage. Les vapeurs urbaines d’un New York accueillant des bateaux arrivant de la perfide Angleterre des années 90 remplissent ce morceau qui est un hommage au son, une ode à quelque chose qui dépasse la notion de critique, de goût. Il y a quelque chose de totalement vivant, de prégnant, de presque vital, résumé d’un disque que la puissance parfois étouffante me rend léger. Vous allez me demander si j’aime, à cela je vous répondrai que je ne peux vous répondre, je n’ai pas encore trouver un mot plus fort encore.

Kaviar Special “#2”

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Magnifiquement illustré par Elzo Durt ce deuxième album déconcerte d’autant de maturité dans la décontraction, prouvant que l’hédonisme n’est pas une science approximative, et que quand elle est entre les mains de joyeux alchimistes comme ceux de Kaviar Spécial, elle devient un mode de vie à propager pendant qu’il est encore temps. Car si la Kaviar, celui avec un C n’a jamais rien fait pour le lien social, Kaviar Spécial lui fait pour que nous nous soudions tous autour de ces chansons qui sont des feux de joie qui ne consument rien, sauf la sinistrose. A prendre par louches entières et de façon urgente. Merci pour tout.