Emir Kusturica, avant de se faire rattraper dans les 2010s par la patrouille du bon goût (il est Serbe, il est nationaliste, il est homophobe), savait mettre en scène avec truculence et folie la grandiloquence rock et mélancolique d’un folklore klezmer trafiqué à base de cuivres déglingués et de fanfares bordéliques.

Pourtant, tout aussi fantasmagorique qu’il est, l’Est, le grand Est chaotique reste le sujet d’aventures musicales passionnantes, même affadies par le tamis hipster de Beirut, telles qu’énumérées dans Octophilia et ses neuf morceaux en un folk punk sonique bourdonnant : car tel est le projet bandant des belges de KermesZ à l’Est, soit huit talentueux et volontaristes musiciens qui se jouent des codes et soulèvent les publics qu’ils croisent, et ce jusqu’en Azerbaïdjan – régime à priori autoritaire peu habitué à entendre souffler au travers de cuivres déglingués le vent de la liberté.

Petite pensée pour AC/DC, Pantera et Metallica, faisant vrombir le métal à Moscou, quelques semaines avant l’effondrement de l’URSS : le rock – et non pas le hip-hop (trop nombriliste) et la dance (trop rien du tout), musiques de prolétaires atrophiés du bulbe et des bras – serait un excellent thermomètre social.

A ce titre, Lullysion - adaptation d’une pièce de Jean-Baptiste Lully, au texte déclamé par Olivier Chaltin - représente, politique de par la liberté musicale qui n’engage que lui, un carton rouge pogottant à brandir au nez de nos si peu courageux politiques.

Fondée en 2007, la petite troupe de KermesZ à l’Est propose une orgie sonore sans égale, mêlant arts de rue, musiques populaires et savantes, puisant dans le math-rock, l’électro ou le free jazz, ainsi que dans les traditions d’Europe de l’Est et les freakshows : tumulte psychédélique en approche, pour soirées coûteuses en calories et néanmoins conscientes du monde qui nous entoure (enserre ?), ça fait un bien fou !