01/ The Red Diag
Jérôme Orsoni : C’est le morceau emblématique de l’album et aussi de notre travail à quatre. C’est à la fois long et complexe et très simple : chaque partie a un thème qui l’identifie et qui est ramifié, développé, enrichi. Par exemple, la dernière partie qui est faite d’unités superposées ou la flûte d’Antoine qui vient donner de la profondeur au morceau et lui donne une couleur exotique. En fait, c’est ça : les éléments séparés n’ont pas de sens, c’est le tout qui en a. Entre les pistes brutes d’improvisation et la version définitive, il y a eu un travail très important sur l’architecture du morceau qui s’est fait au cours de longues séances chez Antoine qui habitait alors à Paris. C’est en quelque sorte une tradition chez Rome Buyce Night, mais la différence est que nous jouons désormais à quatre. Si nous nous sommes tout de suite sentis à l’aise ensemble, je veux dire : dans la manière de jouer ensemble, de mettre en place des routines musicales (des manières de schémas comportementaux, quasiment des réflexes) qui permettent d’improviser le plus librement possible, aboutir à un morceau aussi ambitieux est plus complexe. Ça demande beaucoup plus d’énergie et de patience. Dans une certaine mesure, nous sommes devenus un groupe composé de quatre musiciens quand, à une heure avancée de la nuit, nous avons considéré que le morceau était fini.
02/ The Unit Scale of Rock
Jérôme Orsoni : Romain et moi voulions quelque chose de très rock. Antoine et Guillaume hésitaient. C’est, pour ainsi dire, la guerre interne entre le rythme et l’atmosphère. Chacun ses obsessions : pour Antoine et Guillaume, c’est le sens — pour Romain et moi : aller à l’essentiel. Le morceau exprime cette tension entre des aspirations qui bien que différentes ne sont pas contradictoires. Rome Buyce Night, c’est exactement ça : des dizaines de directions différentes qui se conjuguent dans l’improvisation et qui aboutissent à quelque chose que personne d’entre nous ne pouvait envisager avant de jouer ensemble.
03/ The Foam Theater
Jérôme Orsoni : Enregistré un samedi après-midi pluvieux. Nous étions tous fatigués. Humeur maussade. Nous avions quatre heures devant nous. Nous les avons passées à nous chercher. Tout ce qui en est sorti, c’est une ligne de guitare sur un rythme afrobeat, le tout répété inlassablement. C’était joli, intéressant, mais ça n’allait nulle part. Guillaume a passé des heures chez lui à inventer une dynamique, à littéralement sculpter le matériau jusqu’à aboutir à ce morceau qui est répétif et aérien, et qui se termine un peu comme commence kule kule de Konono no1. Tout ou presque était là, il suffisait de le faire apparaître.
04/ The Multiple Scale(s) of Rock
Jérôme : Quand le disque n’était encore qu’une maquette pas assemblée, c’était mon morceau préféré : j’aime l’énergie et le côté mécanique du rythme, les manières dont les guitares tissent une structure, le long larsen, la reprise en crescendo, la basse infatigable. Nous avons joué ce morceau d’abord parce que n’avions absolument aucune idée ce jour-là. Je pense que nous sommes allés à l’essentiel, vers quelque chose d’assez primaire, en nous amusant, un peu ironiques - le morceau fini est comme ça d’ailleurs : punk et post-punk.`
05/ Deux millions et demi de secondes
Jérôme Orsoni : C’est avec la voix de David Warrilow que le morceau a pris tout son sens. C’est un peu comme si le morceau une fois mis en forme instrumentalement attendait cette voix rauque et ce texte insensé de Beckett. Beckett se prête bien à ça parce qu’il n’y a pas de psychologie dans ses textes, le sens émerge autrement, d’une manière musicale. Nous n’aurions pas pu mettre le texte en musique, mais nous avons pu mettre la musique en littérature.
06/ Ann Arbor
Jérôme Orsoni : L’idée de finir un album sur un morceau qui prend le contrepied du reste n’est peut-être pas très originale, mais c’est un soupir final, pas un dernier râle, plutôt l’expiration après l’effort. C’est simple, apaisé, joli. Ça dure deux minutes et c’est fini. Après tous les décibels, les superpositions, les élaborations, c’est facile et tendre, la flûte donne un côté atmosphérique, à peine un peu de profondeur, juste l’ampleur qu’il faut. Les voix sont douces, légèrement en retrait. Nous avons enregistré en quelques heures à peine, chez Antoine. Guillaume et moi avons fait les voix. J’ai fait la guitare acoustique. Antoine, la flûte et la guitare électrique. Romain est arrivé après. Il a trouvé ça bien. J’aime ce morceau pour de nombreuses raisons, mais particulièrement parce que nous avons fini par en faire une sorte de carte postale envoyée à Antoine (qui habite désormais à Ann Arbor dans le Michigan). Le disque est désormais en vente chez un petit disquaire indépendant à Ann Arbor…
Antoine Ducoin : Ce disque est une évolution assez logique de la musique de Rome Buyce Night qui a toujours oscillé entre rock indé, psychédélisque et ambiant. Depuis un certain temps, et notamment lors de la sortie de Matricule & Micro Sainte en 2009, la tendance est de donner un sens plus direct/efficace tout en gardant le coté atmosphérique qui est a la base du groupe. Un équilibre pas si facile a trouver, surtout à trois. Cela avait été partiellement fait en 2009, et avait débouché sur deux albums présentant des caractéristiques assez distinctes, venant du fait que notre musique penchait irrémédiablement d’un coté ou d’un autre. Avec Ann Arbor, c’est un peu comme si ces deux précédents albums avaient fusionnés, un peu comme si Jérôme s’était placé au milieux de la formation, devenant une partie intégrante du groupe et avait naturellement apporté cet élément manquant.