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  • 19 octobre 2012 /
    Gérald Guibaud
    We Are Unique, totalement unique (Part One)

    réalisée par gdo

Et si au moment d’écrire les mémoires d’ADA je devais me prêter au jeu des rencontres importantes, des noms importants, des disques importants, des labels importants, des gars et filles biens, WAUR ! se classerait dans le top 5 de toutes les catégories. Si les mémoires ne sont pas pour maintenant, il était temps par contre pour WAUR ! de fêter dignement plus de 10 ans d’activisme, 10 années à chatouiller une curiosité parfois blasée. Pour fêter cela WAUR ! a ouvert en grand les portes et les fenêtres, délaissant l’argenterie, poussant les meubles faisant de la place à l’ensemble de la famille, ainsi qu’aux amis. Il en découle un coffret ambitieux, au sein duquel trône un disque d’un ensemble Unique qu’il conviendrait de ne pas oublier au moment de la remise des prix de fin d’année. Alors afin de mieux comprendre ce label unique, voici une rencontre avec un gars super bien (Gérald Guibaud), et je ne dis pas cela que pour son prénom. Une façon de comprendre ce qu’est un label français en 2012, histoire de toucher du doigt une forme de don de sa personne, histoire surtout de lui rendre hommage, à lui et à son label (sa famille) complètement et absolument à découvrir.

Que retiens tu de ce double quinquennat ?

— Beaucoup d’efforts, qui souvent ont été malheureusement peu récompensés, un lancement du label au début de la crise du disque, qui n’a cessé de s’aggraver au fil des années. Je retiens surtout de nombreuses rencontres, avec les artistes et beaucoup de gens comme nous passionnés par la musique indie (en vrac, des webzines, des journalistes, d’autres labels, des radios, des programmateurs de concerts, festivals…). Je retiens aussi ces 34 albums sortis par le label, qui désormais appartiennent à l’histoire, ils sont là, bien réels, et ont leur vie propre et nous survivront. Certains ont marqué les gens, d’autres moins. 34 sorties pour une modeste structure associative constituée uniquement de bénévoles, autofinancée avec très peu de recours aux subventions, je trouve que c’est un bilan plus qu’honorable.

10 ans après sa création, WAUR répond il à tes aspirations initiales ?

— Je n’avais pas particulièrement d’aspirations au début du label, je voulais juste qu’on sorte les albums de mes amis, et faire en sorte qu’ils rencontrent un public. Je ne pensais vraiment pas qu’on signerait autant d’artistes et qu’on arriverait à sortir autant de disques. En fait tout s’est fait naturellement, avec les rencontres que l’on a faites au fil des ans. Et aussi avec la progression de nos compétences pour produire un disque car nous avons tout appris en faisant les choses. Mon objectif avec les années, a été de tenter de développer une structure pérenne pour aider des artistes français émergeants à se développer, à les accompagner pour sortir leurs disques, tout en façonnant un label indie avec une identité propre assez forte pour montrer qu’en France aussi on peut rivaliser avec les labels indés d’autres pays. Nous n’avons par exemple ainsi jamais signé de licence avec un artiste anglo-saxon et je suis fier d’avoir aidé autant d’artistes français à émerger. Le seul regret est l’impossibilité à développer notre catalogue à l’international, alors que je pense qu’il y avait moyen vu que nos artistes chantent presque tous en anglais. Mais le contexte de crise n’est pas favorable à la prise de risques et plus aucun distributeur étranger ne signe de label ou alors trop peu. Et en plus vu que nous n’avons jamais été hype, il est difficile d’intéresser les médias internationaux pour favoriser un tel développement.

Depuis le premier album de Lunt, WAUR a toujours démultiplié les pistes. C’est presque une performance pour un label de cette taille ?

— Je ne pense pas qu’on puisse parler de performance liée à la taille de structure, c’est juste à mon avis ce que devrait faire tout bon label qui se respecte. A quoi bon sortir toujours le même disque ? Nous n’avons jamais été focalisé sur un seul courant musical, et nous ne pouvons envisager la musique sans que celle-ci réalise des ponts entre tous les styles que nous aimons. Nous avons toujours voulu essayer d’amener un public fan de pop vers des musiques plus expérimentales et inversement. Et puis tu t’aperçois souvent que les labels qui durent sont ceux qui savent aussi se renouveler, l’exemple le plus criant pour moi est Sub pop, qui sort désormais des disques de hip-hop, on est loin de leurs débuts autour d’une seule scène noise de Seattle !

Autre anomalie chez WAUR l’offre de téléchargement gratuit sans même obliger l’achat de disque. Tu as compris que tu t’adressais à des amateurs de musique avant tout, des amoureux aussi de l’objet ?

— Nous avons offert une seule fois l’album en téléchargement gratuit intégral, c’était pour le premier album de Half Asleep et depuis nous ne l’avons jamais refait. On voulait marquer les esprits avec cette première sortie physique en magasins d’un disque en licence Creative Commons, en l’offrant gratuitement aux internautes dès sa sortie. Depuis d’autres groupes (et même des très gros) ont fait pareil…Cela a bien marché vu que le disque d’Half Asleep est épuisé et qu’on en a vendu un peu partout dans le monde, sans aucun plan de distribution ni promo particulière à l’ étranger. Désormais on offre toujours plusieurs morceaux pour chaque album. Il est vrai que nous sommes des artisans du disques, nous faisons de petits tirages (500, 1000 ou 2000 exemplaires maximum), et on essaye de soigner l’objet car si nous ne nous adressions pas aux quelques dernières personnes a être amoureux de l’objet disque, je pense que nous pourrions arrêter notre activité de suite.

(© Fabrice Panjolles)

Angil qui est la tête d’affiche du label, ne serait pas déjà parti dans un label plus exposé si WAUR n’était pas aussi unique ? WAUR une famille ? une phratrie ? une AMAP ? tout cela à la fois ? d’ailleurs personne n’est allé voir ailleurs ?

— Dès le début, j’ai tenu à impliquer les artistes dans le fonctionnement du label. C’était une façon de leur montrer que ce label était à eux, et que nous devions tous nous impliquer dans son développement pour le faire vivre. C’est ainsi qu’avec le temps tout le monde est devenu ami et oui on peut vraiment employer le terme de famille. On ne se voit pas très souvent, mais chacun compte et nous sommes tout le temps en contact. C’est peut-être à cause de ça que les artistes aussi ne sont pas partis voir ailleurs, parce qu’ils se sentent bien ici, et que leur liberté est totale vu que le label, c’est eux. Je vois aussi le parallèle avec une AMAP, mais c’est sans doute notre offre de membres bienfaiteurs du label qui s’en rapproche le plus en terme de concept. Le label est plutôt à rapprocher du petit producteur qui essaye tant bien que mal à faire perdurer une certaine production de qualité.

Dans la série des questions Ying et Yang. Ton meilleur souvenir ? Le pire souvenir ?

— Le meilleur souvenir, il y en a beaucoup qui viennent à l’esprit mais si je devais en garder qu’un ce serait le jour où on est allé avec Angil&The Hiddentracks à Glasgow pour finaliser la sortie de Oulipo Saliva chez Chemikal Underground. Etre reçus comme des princes par Les Delgados, Aidan Moffat et autres, qui nous disaient en plus que l’album d’Angil était génial, alors que pour nous ces gens étaient de vraies références avec leurs disques qui ont tant participé à notre éveil musical, et bien c’était un grand moment de satisfaction pour nous et un sentiment que nous étions arrivés à être crédibles en tant que label. Le pire il n’y en a pas tant que ça, je dirais le premier soir de notre première route du rock au stand village et labels, il y avait eu une tempête et nous avions été pris dans la boue, mes cartons de disques se délitaient avec l’eau, des gens saouls s’étaient amusé à sauter dans la boue devant nos stands et nos disques et fanzines étaient foutus, je me demandais vraiment où l’on avait mis les pieds…pour finir, notre voiture était embourbée sur le parking organisation et on n’avait pas pu rentrer à l’hôtel !!! Au final on a fait plein d’autres RdR car les autres jours se sont bien passés et on a rencontré plein de gens supers (notamment la team Monopsone qu’on adore).

De quoi es tu le plus fier ?

— De tous les disques que nous avons sortis. 34 références en 11 ans, soit une moyenne de 3 par an, un beau résultat très honorable pour une structure comme la notre.

On peut souvent lire ta déception face au peu de retour sur les sorties Unique, mais au final n’est ce pas paradoxal, car être une tête chercheuse n’est pas un gage de reconnaissance.

— Merci, ça me touche beaucoup que tu estimes que nous faisons partie des têtes chercheuses…Je pense malheureusement que la promotion d’un disque n’est qu’une question de moyen. Plus tu en as et plus tu peux communiquer sur la sortie, et faire en sorte qu’on en parle. C’est aussi une question de réseau, et lorsque tu es de et en province, c’est difficile de s’en créer un vu que dans ce pays tout est encore malheureusement trop centralisé sur Paris. Heureusement qu’il y a encore quelques passionnés (comme toi notamment, mais aussi quelques journalistes dans la presse que l’on peut compter sur les doigts d’une main) qui prennent des risques en mettant en avant des productions comme les nôtres, en dehors des modes et des courants dominants de pensée. Je me plains souvent mais c’est parce que je commence à fatiguer, la promotion est un travail ingrat et très épuisant. Il va falloir que je commence à trouver des jeunes qui veulent bien prendre le relai, car j’ai sûrement mon lot de responsabilité dans ce manque de visibilité, je n’ai plus le même temps qu’au début du label à y consacrer, et ce travail de promotion nécessite d’être tout le temps sur le pont.

Au début d’Unique tu as certainement consulté des labels. Maintenant le boss d’Unique est il celui vers qui on se tourne pour monter un label.

— Nous avons relativement peu rencontrés de labels à nos débuts, vu qu’il en existe très peu sur Toulouse. Nous avons bénéficié de quelques très bons conseils de la part de Shambala records, des amis de Monopsone et de l’ami Cisco qui avait créé à l’époque le label aveyronnais Dora Dorovitch. De Dana Hilliott aussi pour toutes ces questions relatives au droit d’auteur et de licence libre. Et je tiens encore à les remercier tous pour leur aide. J’ai depuis 2009 participé à la création de la FLIM, la Fédération des Labels Indépendants de Midi-pyrénées, et à travers elle nous essayons d’agir sur la politique des collectivités locales en faveur des musiques actuelles, notamment sur la partie de l’aide à la production. Via cette fédération, nous jouons aussi un rôle de conseil pour ceux qui veulent créer leur label, mais malheureusement les volontaires ne se bousculent pas… Les jeunes doivent se douter que c’est une belle galère, surtout que désormais beaucoup d’artistes arrivent à s’en sortir seul, avec deux titres sur le web et l’appui de blogs ils deviennent des stars alors qu’ils n’ont jamais enregistré un seul disque ni joué devant du public…

(© Melonhead - Photo polaroid par Emma Viguier)

Tu penses avoir fait une grosse erreur pendant ces dix ans ?

— Non je ne pense pas. On avait reçu à nos débuts la démo d’un groupe belge, et on leur avait dit que ça ressemblait vraiment trop à Grandaddy. Quelque temps plus tard ce groupe, Girls in Hawai, a eu un beau succès je crois, non ? Penses tu que ce fut une erreur de ne pas les signer ? Moi non car j’estime toujours que leur musique ne méritait pas un tel succès car elle est vraiment trop pompée sur le groupe de Jason Lytle. Je préfère largement avoir signé Angil ! Nous ne sommes pas fait pour faire des coups et sortir juste un disque pour avoir un hit ou succès grand public, nous préférons beaucoup plus les chemins de traverses.

Consultes tu beaucoup de monde avant de sortir un disque ?

— Pour l’écoute et le tri des démos qu’on reçoit, j’ai refilé la tache à Mickael (Angil) depuis un moment car je n’avais plus le temps de le faire, et lui adore vraiment faire ça. Il fait le premier tri et je lui fais à 100% confiance. Ensuite on en parle tous ensemble avec les personnes impliquée dans la gestion pure du label (on est environ 5 ou 6) et il faut que ça fasse l’unanimité, et donc c’est assez rare. De plus nous ne pouvons nous permettre de signer beaucoup de groupes car nous faisons trop peu de sorties par an, donc il faut utiliser au mieux ces créneaux, entre les nouveaux albums des groupes du catalogue et les nouvelles signatures.

Tu pourrais sortir un disque que ne serait pas un « produit » de la maison Unique, un album sous licence ?

— Non, comme je te disais plus haut, je m’y refuse, surtout sortir un groupe étranger sous prétexte que ça va marcher vu que souvent la presse aime bien parler d’un groupe du fin fond des states qu’ils prétendent avoir découvert, plutôt que de parler du jeune groupe français qui joue en bas de chez eux. Le jour où les américains signeront pléthore de groupes français sur leurs labels, et bien je changerais peut-être de position. Pour l’instant j’estime qu’il est de notre devoir de promouvoir la création de notre pays, par des artistes français. Et puis nous préférons faire des co-productions avec des labels français, comme nous l’avons fait avec Jarring Effect et 6AM pour sortir le deuxième album de B R OAD WAY par exemple. Là, avec l’effort coordonné de plusieurs structures motivées, en général on arrive à faire du très bon boulot pour le développement de l’artiste

Mieux vaut un succès commercial ou une reconnaissance poignante de Bayon ? (je sais tu vas me dire les deux (o.)

 Aurons nous un jour un succès commercial ? je commence à en douter. La reconnaissance de Bayon, nous ne l’avons eue que pour un seul disque, le premier de Raymonde Howard, et elle nous a fait énormément plaisir. Mais j’étais un peu déçu par la suite que Bayon n’accroche pas sur nos autres sorties, comme les disques d’Angil ou Half Asleep. C’est dommage car son support nous aurait vraiment aidé à franchir un palier en terme de reconnaissance. Son papier avait vraiment ouvert de nombreuses portes pour Raymonde, notamment chez Lenoir qui lui avait proposé une Black Session, alors qu’il n’avait jamais diffusé un seul de nos disques dans ses émissions ! (et aussi qu’il nous avait dit ne pas aimer la voix d’Angil, chose que nous n’avons jamais comprise, car s’il y a bien une chose sur laquelle tout le monde est d’accord, c’est la qualité de la voix de Mickaël….)

Suite à la signature de la licence pour Oulipo Saliva chez Chemikal Underground, tu as mis la main à la poche pour une tournée au US car les ventes n’ont pas suivi. C’est incroyable quand on y pense.

— En fait, ce label est une ruine pour moi, car je suis toujours en train de combler avec mes deniers personnels les manques et les déficits. Et je ne suis ni riche, ni rentier, j’ai juste une modeste paye d’ingénieur ! Les ventes se sont effondrées en 10 ans, avant on arrivait à survivre en vendant 1000 à 2000 disques, désormais quand tu en vends 500 c’est un super score ! Avec ces chiffres, il est impossible de s’en sortir, même pour une structure comme la nôtre sans masse salariale ! Donc je fais du mécénat avec mes humbles moyens, et je ne peux même pas le déduire de mes impôts ! Cette situation est vraiment injuste, il devrait y avoir des allègements d’impôts pour des gens des classes moyennes comme moi qui soutiennent à leur manière la création. Beaucoup de labels que je connais comme le nôtre sont gérés par des personnes comme moi qui mettent souvent leur propre argent personnel pour sortir des disques, tout simplement parce qu’ils font cela par passion et non dans le but de faire de l’argent. Regardes l’intérêt que suscite le crowdfunding, cela montre bien qu’il y a beaucoup de monde qui souhaitent soutenir la création pour la création, et pas pour faire de l’argent, surtout pas comme cette horreur de concept intéressé tel que le propose MyMajorCompany par exemple. Le soutien à la création pour moi doit rester un acte militant totalement désintéressé.

(© Gérald Guibaud)

As tu changé en dix ans ta façon de choisir les artistes que tu vas produire ? d’ailleurs comment procèdes tu ? tu es tyrannique tu contrôles tout (o ; ?

— Non pas du tout, avec l’expérience désormais nous savons un peu mieux ce que nous voulons et ce que nous ne voulons pas. On commence à avoir pas mal de bonnes habitudes avec certains studios où l’on aime travailler. Après nous proposons des solutions aux artistes, on en discute ensemble et on trouve la solution qui convient à tous, en fonction aussi des moyens qu’on a, ou que l’artiste est prêt aussi à mettre.

(à suivre...)



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