Telle Kate Bush, Suzanne Vega est devenue au fil du temps un astre rare : neuf années entre deux albums, contre quatorze pour la compositrice de Wuthering Heights. Ce retrait progressif n’a fait que renforcer l’aura mythique de certaines œuvres majeures de la New-Yorkaise – 99.9F° en 1992, objectivement sa plus accomplie ; Solitude Standing en 1986, subjectivement sa plus émouvante – et lui confère une image d’ange gardienne, aussi vaporeuse que sa prestation devant la caméra de Jonathan Demme dans le clip du titre Solitude.

De Suzanne Vega, nous n’attendons pas un album définitif, mais une collection de chansons pop-folk hors du temps et des modes, dans un sillage singulier allant de Neil Young aux Feelies, de Springsteen à The Lilac Time – un sacré prix de consolation que beaucoup revendiqueraient avec fierté.

En 2016, avec le toujours poignant Lover, Beloved : Songs from an Evening with Carson McCullers, elle rendait hommage à la romancière féministe de Reflets dans un œil d’or. Un an avant #MeToo, cet album entrait, presque malgré lui, en résonance avec des questionnements sociaux et moraux prégnants.

Flying with Angels, de son côté, est un disque hétéroclite et personnel qui s’attaque à d’autres maux, à la façon d’un journal rédigé au cours de ces étranges cinq dernières années (Covid-19, guerres, distance humaine). Ce qui donne à la variété des tonalités une ligne à la fois robuste et gourmande : quelques incursions CBGB, surprenantes et réjouissantes, qui auraient pu mener à l’orgasme (coriace Lucinda), de la soul-funk pour Pam Grier en Diana Ross (Love Thief), des ballades surgies de nulle part (magnifique Galway, ambitieuse Last Train from Mariupol), une fausse cover du I Want You de Bob Dylan (Chambermaid), et des titres pop à la Vega, comme on les aime : Speaker’s Corner, ou surtout Alley, semblable à du R.E.M. tout juste sorti du four.

Mine de rien : un disque à conserver religieusement jusqu’au prochain PJ Harvey.