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Je cherchais le mot parfait, le casque mis sur les oreilles, l’ordi sur les genoux, assis devant la fenêtre et regardant comment l’air chaud et pollué de Madrid bougeait les feuilles de mes plantes. On sait que ce même air les tuera dans un Aout proche, mais on plante, en avril, on sème. Je cherchais le mot de départ. Quand j’écoute un disque pour un peu plus que l’écoute, quand je me verse dans un disque en vue de chronique, je cherche toujours le mot-déclic, celui qui va définir le chemin de l’étude. J’avoue, que parfois, je trouve le mot, et le perds en chemin. J’écoute Signac, là, avec cet air idiot d’observateur de plantes sans futur, ce n’est pas le premier disque que j’écoute de Monsieur Fred, mais c’est le disque qui m’a dit "écrit sur moi, écrit sur ma peau, écrit sur mes entrailles" et je suis un homme très obéissant.

"Entrailles"

Signac n’est pas un chanteur, enfin, pas seulement la voix, je connais des non-chanteurs qui sont a des années lumières de chanteurs parfaits, et des chanteurs tout propres qui n’arriveront jamais a la cheville des non-chanteurs.. Suivez-moi. Signac exprime, il ne chante pas, il s’exprime, il est comme ces peintres expressionnistes allemands dont le trait noir qui entourait l’objet ou l’humain, ce trait noir plus épais que les couleurs, donnait l’âme aux tableaux. Son chant est piloérection, un soulèvement instinctif des poils de nos bras, son chant est une chair de poule. Et puis non, ce n’est pas un chant, ce n’est pas cette récitation su par cœur, chaque intonation répétée, note parfaite, cantate frigide mais excellente ment clonée, ce n’est pas un chant, c’est un récit vécu jusqu’à la douleur, avec ses failles, ses crevasses, et ses ailes d’Icare qui ont été plus proches du soleil que nous ne le serons jamais, et qui se conjugue dans des impressions, des sensations, des hérésies et des prières, une biographie complète de chacun de nous écrite sur lui, une vie. Pour en arriver a cette splendeur, il faut mettre les ongles dans les entrailles, comme le faisait Brel en noir et blanc sur la scène de l’Olympia, comme le faisait Cash dans les heures noircies de pilules, comme le faisait Bashung dans sa quête de vie, et Ferré dans sa vision de lendemains cons. Il faut mettre les ongles dans les entrailles, trouver ce qui nous taille, trouver ce qui a besoin de cris, ce qui doit s’évader et ce qui doit rester enfermer, jouer le geôlier, jouer la clef. Signac à sa chair dans ses mains, il la montre sans autre pudeur que la force, il est là où ses entrailles l’ont mené, sur cette route irritée, sur cette surface acide, là où la beauté est une petite perdition, un abandon, une vérité claire, sans mensonges, sans masque, sans air. Signac a fait de cette mine a ciel ouvert de sa vie un art a part entière, celui de la musique, celui des mélodies cruelles et réelles celui d’un autoportrait sans concessions, sans fard, juste ce soupçon de timidité qui joue de temps en temps aux lames de rasoir. Quand cette timidité empêche le pas, il trouve des âmes-sœur comme Joël Rodde pour retrouver le mot juste, et reprend l’arpentement de son ombre, le cheminement de son monde. Bien sur, sans doute, le disque est sombre, le trajet ce fait de nuit, mais certains points dans les paroles éclairent le voyageur, ceci n’est pas une catacombe, ceci, au contraire, est la vie. Le disque est sombre, peut être un peu plus dans la texture que l’antérieur "La preuve du contraire", dans la texture, car les paroles, âme de la chanson, sont plus fortes, plus ambitieuses, plus réelles, comme si il s’était enfin accepté dans sa condition d’esprit, d’humain, et qu’il avoue enfin que le mal a sa part de bien, et le bien, son monde malsain. Paroles magnifiques dans ce sens, soulevées, supportées, élevées aux autels de dieux par des musiques lourdes et cinglantes, dont la force est une enclume martelée, rythmes hymnes, guitares assoiffées tant le désert s’exprime, artillerie lourde, bombardement de sons profonds, oui, ce disque est un bombardement incessant qui creuse des cratères, cela aide à trouver les artères, cela aide à trouver les entrailles, le cercle, est bouclé. Signac est un être a part, comme le serait Sivert Hoyem, comme un Nick Cave noyé, il est difficile de trouver des créateurs a cette effigie, unique, de part cette introspection qu’il se fait a chaque opus, et de cette fragilité, cette friabilité de son corps qui s’oppose a la inébranlable puissance de son âme, ou est-ce le contraire, quand l’un se rend, l’autre attaque, cet équilibre est le véritable instigateur de la musique de Signac, cet équilibre entre les ombres et les lueurs qui fait des conflits dans son crâne, des batailles dans ses heures.

Entrailles, c’était le mot juste, ce qui fait que ce disque sera eternel, cet aspect viscéral de Signac, ces facettes de vies parfois cruelles, parfois belles qu’il narre d’un chant qui ne l’est pas, qui est autre chose, peut être l’art de l’expression, le talent du mime quand il trouve sa voix, le don du silence quand il craque en cris, entrailles, là où il nous entraine, a connaitre ses détails, ses petites histoires qui strient les peaux, l’intérieur de chacun et tous, la vérité sous l’armure, et la raison pour laquelle on sème des plantes en sachant qu’Aout les tuera, puisqu’après tout, rien ne meurt, tout survit, dans les entrailles de nos vécus, les bouleversement sous-cutanés, et les approches du soleil.




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