Vous me croirez si vous voulez, mais j’ai une affection particulière pour les pensionnaires de notre série de compilations. Non pas que je fanfaronne en montrant que bien avant tout le monde nous avions donné à ce concept une forme de légitimité, et encore moins pour ergoter devant telle ou telle fulgurance en ayant hébergé tel ou tel groupe alors que personne n’en parlait. Je me rêve parfois au milieu d’une énorme tablé, entouré par l’ensemble des pensionnaires, dont certains pourraient facilement me tourner le dos, mais si la reconnaissance n’est pas une qualité partagée par l’humanité, c’est une de celle de la grande majorité des participants. Malheureusement à cette tablée il manque souvent du monde. Les séparations, les changements de directions font que la table héberge des sièges libres. Au moment de ranger après le départ des convives je range les chaises, enlevant les étiquettes des absents, mais gardant certaines avec le secret espoir de le voir revenir. Sheraf a toujours eu sa chaise, non loin de celles de Syd Matters, de Pumuckl, de Lou….dont nous attendons le retour, même si il faut bien l’avouer le goût de l’absence dans la bouche est aussi fort que celui des retrouvailles.
Sheraf est donc de retour (et non pas Sherif, saloperie de correcteur orthographique, même si pour le coup Raphaël Campana mérite bien au moins une étoile sur le poitrail). L’album est sobrement appelé « The Third Coming ». Il aurait pu avoir d’autre nom, la modestie de Raphaël pouvant en souffrir. Périple mélodique a mélancolique land, instantanés éclatants sur nos blessures, dans la solitude des champs du possible….mais bon je n’ai jamais été bon pour donner un titre à quelque chose, même pas à ce fichu webzine.
The Third Coming donc est arrivé sans crier gare, et ma première rencontre avec lui a suscité du scepticisme, comme si j’avais oublié de m’émerveiller, rentrant dans le plastron de la suffisance, comme un père éconduit par une progéniture volant de ses propres ailes. Puis j’ai ouvert mes oreilles, grandes, comme des cornes d’abondances qui allaient se délecter d’un nectar dionysiaque. Du tubesque « My Blue Eyes Boy » aux « notwistien « The Most of It » en passant par le sautillant « Another Track » un art que seul Sheraf semble maitriser à ce point, celui de nous envoyer très loin dans le ciel sans le fracas de la détonation au décollage, sans le dispendieux d’un voyage interstellaire, comme un voyage fantastique les pieds frôlant encore le sol. Sensible, incongrue presque dans cette société du paraitre, the third coming est un conte philosophique enchanteur, une vision presque écologique de la musique, des mélodies naturelles, des moments de vie à tomber (Sinking like a stone et l’apparition d’enfants est un moment chargé d’une émotion rare) et une sobriété qui s’apparente presque à une richesse architecturale infinie. Merci pour ce beau retour.