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Si Anton Newcombe est toujours à l’avant-poste, c’est probablement car il est impossible de spéculer sur la forme et le fond d’un nouveau Brian Jonestown Massacre. Un coup, Anton délègue toutes les compositions à son âme damnée Matt Hollywood, avant de renchérir sur un album mixé à la truelle par le Ride Mark Gardener ; un autre, il rend explicitement hommage à Joy Division (« Who Killed Sgt. Pepper ? ») pour mieux rebondir sur une merveille indie-rock (« Revelation »).

Cette année, Anton invente sa propre BO pour un film qui n’existe pas (comme, hier, Brian Eno ou… U2). Rien d’hasardeux dans le choix de ce concept étant également un genre musical à part entière : on sait depuis maintenant longtemps que le BJM en chef est plutôt cinéphile (la trogne rock’n’roll de Jim Jarmusch paradait sur la pochette de « Bravery, Repetition and Noise »). Aucune surprise, également, à ce qu’Anton cite Godard et Truffaut à propos de cette nouvelle œuvre. Pour autant, dans ce plantureux « Musique de film imaginé », l’amour du cinéma français s’exprime essentiellement par des intitulés littéraires ou référencés : « La Dispute », « L’Ennui », « La Question », « L’Enfer »… Clouzot, Moravia ou Henri Alleg dessinent les contours d’un album d’auteur. Musicalement, on ne voit pas trop ce qui pourrait influencer ici JLG pour son prochain film ; en revanche, la haute qualité de la symphonie (car il s’agit bien d’une symphonie en quatorze pièces et interludes) en révèle toujours plus sur le génie fou d’Anton Newcombe.

Foin de dérives mantras, ce nouveau BJM est composé avec un soin du détail et de la sophistication qui fraie avec une mégalomanie parfaitement légitime. Pas (ou presque) de guitares, des plages ambient qui évoquent parfois le Bowie berlinois (« Low » est le premier titre qui vient à l’esprit face à ce mélange entre Schubert et glaciation post-punk), des voix soudaines (les sorcières Soko et Asia Argento), beaucoup de torpeurs et quelques incantations hésitant entre effroi et romantisme (loin de « Prénom Carmen », on pense surtout à « Phenomena » ou à « Body Double »)… Anton Newcombe vient encore de blouser son monde avec ambition et pied de nez.