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En France, il y a les suiveurs, les copieurs de Dominique A, de Bashung... Et puis il y a les laborantins, les déconstructeurs, les révolutionnaires, les déroutants... Il y a les libertaires comme le label Le Saule (June et Jim, Antoine Loyer, Philippe Crab...), ceux qui sont un pied ancré dans le patrimoine et un autre dans l’ailleurs (A Singer Must Die), les créateurs absolus (Mendelson, Orso Jesenska, Michel Cloup...)

Où classer Florent Marchet ? Difficile question... Souvent inventif et pas toujours convaincant mais inventif en ces temps frileux... Lui qui se dit "créateur d’album roman"... De changement de décor en changement de décor, le berrichon nous trimballe. De l’inaugural "Gargilesse" au sublime "Rio Baril" en passant par l’aventure littéraire et collective "Frère Animal". Avec "Courchevel", son avant-dernier album, il brouillait encore les pistes dans des croisements congénitaux de variété vintage des années 70 et l’ironie mordante qui le caractérise.

Choisissant de ne pas choisir depuis le début de sa carrière, de ne pas choisir entre le bon goût et le moins bon, entre le grand public et l’abscons... Florent Marchet aime dérouter, déranger...

Avec "Gargilesse", c’était une déclaration d’amour aux musiques boisées (Sufjan Stevens, Elliott Smith) mais aussi à la gouaille moqueuse de Papy Souchon... Avec "Rio Baril", il poussait plus loin encore le concept de l’album roman en se transformant en démiurge créateur d’univers plein.

Et si Florent Marchet était un conteur finalement ? Un styliste ? Doute une fois de plus confirmé par son travail sur "Frère Animal" avec Arnaud Cathrine et Valérie Leulliot (Autour De Lucie) Un constat froid, cynique du monde de l’entreprise.

Avec "Courchevel", il revenait affublé d’une ridicule moustache avec cette critique acerbe de la petite bourgeoisie à la Chabrol vue par les yeux d’Ozon... Finalement, quand on s’attarde sur la carrière de Marchet, il semble évident qu’il n’évolue pas au sens strict du terme mais plutôt qu’il se met au service de nouvelle histoire, de nouvel univers à chaque création un peu comme un acteur qui rentre dans son rôle.

Florent Marchet a choisi de ne pas choisir entre Mainstream et Avant-Garde. Est-ce du culot, de l’audace ou de la déraison de citer pêle-mêle dans un même objet musical Houellebecq, Ligeti ou Pierre Henri ? Faut-il y voir de l’ambition ou juste un raisonnement poussé à son extrême ?

Bambi Galaxy est un album difficile provoquant des réactions tranchées... Il y a ceux qui entrent dans l’histoire et ceux qui n’y entendent rien...

Comme tout odyssée qui se respecte, ce sont les chants des sirènes face au monolithe noir qui ouvre l’évocation ("Alpha Centaury")... Il y a les mêmes veillités Pop Vintage que dans "Courchevel" mais comme gonflées à l’hélium ("Reste Avec Moi").

Florent Marchet aime dérouter... Il y a ces textes sombres avec ces contre-points musicaux qui se jouent du kitsch et du mauvais goût... Vous penserez souvent à John Maus, la folie décalée en moins ("Que font les anges ?"), vous croirez reconnaître Ariel Pink prostitué par Panda Bear qui se prendrait pour MGMT dans cette lassitude monotone ("Où étais-tu ?")...

Florent Marchet aime dérouter... Entre Pop et disco robotique ("Heliopolis") et la dissonance des nombres ("647")... Florent Marchet aime dérouter... Emprunter à Todd Rundgren, enfiler Gainsbourg dans les grandes largeurs ("Space Opera")

Puis viennent ces vieux sons de synthé sur Bambi Galaxy... Et là tout de suite, me reviennent mes premières écoutes d’"Oxygène" de Jean-Michel Jarre avec cette grande pochette de vinyle qui m’intriguait gamin... Je me rappelle que je me disais que l’an 2000, cela ressemblerait à cette musique, que ce serait l’âge de tous les possibles... 2000 est passé, pas de bug mais rien de plus non plus... Pas de voiture volante,pas de voyage intergalactique.... Une crise et des finances et des consciences comme dans les années 70, une continuité d’une autre continuité.... Quelque part,"Bambi Galaxy" me renvoie à "Oxygène" mais à un Jean-Michel Jarre qui aurait écouté le "Space Oddity" de David Bowie.

Quand le Berrichon retrouve une certaine sobriété dans ses arrangements, quand il laisse de côté les artifices, quand il ne déconstruit pas ses mélodies, on est happé par "La dernière seconde" ou "Devant l’espace". "Apollo 21" fait remonter toutes les angoisses de notre monde... Ce monde d’aprés la disparition de notre génération. Entre science-fiction et hyper science, le constat est sec et glaçant... Entre "La Planète sauvage" de Laloux, le "Solaris" de Tarkovski et l’addition de nos névroses... Il y a ces moments d’évidence comme "Ma Particule élémentaire" et cette vie qui file vers un futur incertain et inquiétant...

Florent Marchet aime dérouter... Fait de facilités, d’ambitions, de clins d’œil ironiques, de quinzième degré assumé, de goût pour les ruptures, Bambi Galaxy provoquera le scepticisme chez vous à tel moment puis là l’enthousiasme quand ici l’émotion se taira puis là les larmes dans les yeux... Bambi Galaxy vous déroutera, vous dérangera, vous interpellera, preuve de toute la vivacité d’un univers en construction.... De ces albums difficiles à digérer, qui divisera, qui agacera certains quand d’autres s’y jetteront avec délectation... Un objet différent qui ne peut être dans la tiède indifférence...

www.florentmarchet.com