De Weekend, on conservait un assez bon souvenir de l’album « Sport ». Pas de quoi réveiller les morts mais au moins s’agissait-il d’un disque qui ne nécessitait pas deux packs de Leffe et un concentré d’herbe pour en apprécier les contours. Avec « Jinx », Weekend passe indéniablement à la vitesse supérieure. Le premier titre, « Mirror », évoque durant quelques secondes le « 10 :1 5 Saturday Night » de Cure avant de se retrouver lacérer par des grattes post-punk comme on les vénère judicieusement. « July » poursuit dans la veine Cure / Joy Div’ en sursaturant la partie vocale de révérbations au-delà du raisonnable. « Oubliette » adopte une facette plus pop, à mi chemin entre les années shoegaze, le rythme métronomique de Steven Morris et le gothique maquillé cher à Robert Smith… Et on pourrait continuer ainsi jusqu’au bout du dixième morceau de cet album qui, c’est déjà pas mal, donne envie de miser sur le futur de Weekend. Tout est dit. Fin de la chronique ?
En pèlerinage dans une ville pourrie du Sud de la France (parce qu’il faut bien occuper les étés moroses), je ne cessais de repenser, attablé à une terrasse de café tout en ingurgitant des bières hollandaises, à tous ces groupes dark, doués mais « mineurs », que j’écoute pourtant depuis leurs confidentiels débuts : Selebrities, Low-Life, Medicine ou… Weekend. Mon interrogation alcoolisée concernait le plaisir de découvrir ces formations puis mon naturel à ne plus jamais vouloir en entendre parler (trois ou quatre passages sur la platine, et puis dégagez). Ma conclusion pactisait avec un besoin de sulfureux, de sale, de dangereux. Trop sages, trop propres sur eux-mêmes, jouant avec les codes du dark mais les pensées arrimées à une certaine idée du confort, ces groupes ne dérangent pas, n’incarnent aucunement une menace. L’époque manque de cela : une formation que l’on partirait interviewer en redoutant de se faire fracasser à coups de chaînes ou bien de se retrouver avec un cran d’arrêt rouillé sur la glotte. Car, en cherchant bien, depuis les hooligans Happy Mondays, aucun groupe n’a inspiré une telle sensation d’urbanisme crade, de dope et de cramage de cerveau. Même des mecs tels que Liam Gallagher et Pete Doherty flanquaient moins la frousse qu’ils ne provoquaient l’hilarité générale : le premier pour sa connerie cartoonesque, le second pour son lamentable écho de romantique torturé. Aujourd’hui, la pop et le rock exigent un minimum de virtuosité et surtout, surtout, une belle allure, un discours réfléchi et la caution d’Agnès B. Je tiens les Strokes pour partiellement responsables de cet affadissement non pas de la musique mais des intentions belliqueuses. Avec leur rock clean et populos, les Strokes, puis les Kills, puis les Arctic Monkeys et autres Kasabian, ont malheureusement ramené le rock à un défilé de mode. On peut aimer, on peut défendre, sauf que la principale sensation proposée par ces groupes est celle du confort, du tout va bien, soyons heureux et prenons de la dope à des degrés mesurés.
Weekend n’échappe guère à ce constat : on aime mais impossible de cautionner tant l’efficacité du savoir-faire prend ici définitivement le pas sur les déclarations de guerre (d’ailleurs, de quoi nous parle Weekend ? J’avoue n’avoir même pas cherché à comprendre). Il ne s’agit pas de remonter aux années punks afin de prendre en exemple un groupe incarnant parfaitement l’idée de menace : en 86, avec « The Queen is Dead », les Smiths ne personnifiaient-ils pas, sous leurs dehors pop, le parfait cauchemar pour une institution britannique qui se voyait soudainement condamnée à mort ?
L’époque est triste, l’époque est glauque, on s’emmerde chaque jour mais le rock, lui, garde toujours les yeux sur ses Doc Martens. Ça ne va pas du tout, du tout… Eh bien reprenons l’apéro en attendant des jours meilleurs !
Jean Thooris