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  • 4 août 2024 /
    Bruit Noir
    L’interview, 16/04/24 - Marché Gare - Lyon

    réalisée par FLK & PAR

Avant notre 1e interview de Bruit Noir, nous étions un peu inquiets, ne sachant pas trop comment pouvait se dérouler une interview avec Bruit Noir. Spoiler : très bien. Alors puisque le groupe passait à nouveau par nos contrées pour leur 3e album (qui est le quatrième, enfin peut-être), nous avons sauté sur l’occasion pour retourner assaisonner Jean-Michel et Pascal de questions sur tout et rien, mais un peu sur ce qu’ils pensent du monde (et) de la musique.In C

À Découvrir Absolument : on a eu l’occasion d’échanger il y a déjà 5 ans, lors de la tournée de II/III, à Lyon également. Qu’est-ce qui a changé depuis 5 ans ? Dans vos vies ? Dans le monde de la musique ?

Jean-Michel Pirès : Déjà on a terminé un groupe dans lequel on était ensemble qui s’appelait, Mendelson. C’est déjà un gros sujet. [silence]

Pascal Bouaziz : Il y a un moment, l’acharnement thérapeutique, ça suffit, on est passé ensuite en soins intensifs, et puis en soins palliatifs, et on a emmené le groupe en Suisse, et il n’est pas revenu.
Bien sûr quand les gens meurent on est triste, mais quand ils sont vieux on se dit que c’est le bon moment. Là c’était la même sensation.
Bon, par exemple là Bruit Noir on a fait 15 dates, je joue pas du tout de guitare sur scène, je joue de rien, alors comparé à Mendelson je suis un peu frustré mais à part ça… 
Non, le sentiment d’incompréhension est beaucoup moindre avec Bruit Noir. L’impression qu’on est beaucoup plus entendu pour ce qu’on est qu’on l’était avec Mendelson. Mais peut-être aussi que Mendelson était tellement ancien, avait eu plein de périodes différentes, etc. qu’il était peut-être trop compliqué à appréhender. Là, j’ai l’impression qu’on est plus compris pour ce qu’on est : oui, c’est ça. Donc ça c’est pas désagréable.

Jean-Michel : Donc depuis 5 ans, on a fini la trilogie de Bruit Noir avec cet album.

ÀDA : On se doutait presque d’une pirouette, mais tout de même, ce 3e album qu’on ne mérite pas, il a fini crashé sur un disque dur ou il est bien vivant ?

Jean-Michel : Oui, c’est le 3 qui a crashé sur un disque dur. Généralement, quand on essaye de refaire quelque chose, ça fait pas pareil, même si on essaye de refaire à l’identique. Donc, il y avait une espèce d’état d’esprit : le 3 est maudit, donc on va faire le 4 directement. Et le 3 ? Il était bien, il était beau, il était différent.

Pascal : Vous connaissez l’histoire des Violent Femmes ? Ils détestaient tellement leur troisième album qu’ils ont appelé leur quatrième album 3. Le quatrième album de Violent Femmes s’appelle trois. Donc nous, on a fait l’inverse, le 3e s’appelle 4.

ÀDA : C’est un petit clin d’œil…

Pascal : Quelque part… Dans Bruit Noir, comme dit souvent Jean-Michel, tout est possible, rien n’est interdit. Et donc là, on s’est dit : oui, pourquoi pas ? C’est aussi, peut-être de manière assez cynique, se laisser la porte de faire en sorte que, n’ayant pas rempli le contrat de la trilogie, on s’est laissé les mains libres pour éventuellement faire d’autres albums…

Jean-Michel : Un sequel, comme on dit, ou peut-être qu’on fera un prequel…

ÀDA : Justement, est-ce que vous considérez avoir fait le tour de ce que vous vouliez dire ?

Pascal : Dans les textes, je ne pense pas… je ne sais pas. Je ne sais pas, je ne peux pas dire à l’avance… Mais le fait que Bruit Noir soit tellement ancré dans une sorte de réaction urticante à l’actualité, à nos propres vies, à ce qu’il se passe dans le monde. Là où Mendelson était plus un projet sur le long terme, un projet un peu rêvé, plus littéraire entre guillemets, plus dans le monde de la musique, Bruit Noir c’est vraiment une sorte de réponse. Et vu le monde consternant dans lequel on avance, je pense qu’il y aura toujours des réponses. Donc, au niveau des textes, pas forcément, mais ça ne veut pas dire qu’on y arrivera. Ça ne veut pas dire que ça viendra, mais je n’ai pas l’impression d’avoir tout dit, parce qu’il y aura forcément de nouvelles inventions de bêtises. La bêtise étant incommensurable et éternelle, il y aura beaucoup de choses à en dire, probablement. Musicalement, je ne sais pas si… [regarde Jean-Michel]

Jean-Michel : Non, mais c’est infini, en tout cas, pour la musique. C’est infini puisque, comme on n’est pas marqué par un genre particulier, on peut aller vers où on veut. Selon mes envies, si Pascal, après, ça l’inspire…

Pascal : J’attends désespérément que Jean-Michel se mette au reggae [rire collectif]. J’ai vraiment un potentiel de chanteur de reggae français qui est complètement inexploité. Et là j’attends, j’attends, j’attends…

ÀDA : C’est vrai qu’il y a beaucoup de festivals de reggae qui fonctionnent très bien…

Jean-Michel : C’est peut-être là qu’est notre salut…

Pascal : [s’adressant à Jean-Michel] Pense à nous, pense à la retraite, s’il te plaît.

Jean-Michel : Non, après ça marche à l’envie, notre truc fonctionne si on en est content, si le label le sort, si les gens continuent à nous faire jouer… tant que tout ça est en place…

Pascal : De toute façon - je t’interromps, hein - de toute façon il faudra que ce soit différent. Là, voilà, on arrive quand même au bout de trois albums à un truc un peu confortable dans le format, une sorte de maîtrise qu’il va falloir un petit peu remettre en cause. On n’a pas envie de devenir les fonctionnaires de Bruit Noir. Ce serait un peu navrant.
On n’a pas du tout le projet de revenir : « Ah oui, ah, ils ont encore sorti un album… Bah c’est à peu près pareil que les cinq précédents… Ah oui, oui, mais celui-là il est vraiment mieux. » C’est le concept de l’artiste qui sort un disque tous les ans et tous les ans, c’est le meilleur disque qu’il ait jamais sorti. Et tous les ans, c’est la révolution, et l’année d’après c’est : « Oh mais c’était effroyable, ce disque, je sais pas pourquoi je l’ai sorti. Mais maintenant celui-là, le niveau est vraiment super ! »

Jean-Michel : C’est pour ça qu’il faut en ressortir un autre pour savoir ce que les gens pensaient vraiment du précédent.

Pascal : Mais ici, il y a même les artistes qui pour vendre leurs albums N+1 commencent par baver sur leurs albums N.

Jean-Michel : « Là c’est l’album de la maturité… »

Pascal : Je ne vais pas dire son nom, mais je viens de lire une interview d’un chanteur de notre génération. Je me souviens très bien, il y a trois ans, il est arrivé avec un album, c’était la révolution, c’était génial, c’était le plus bel album qu’il ait jamais sorti. Il était très content. Et là je viens de lire une interview, il dit : « c’était une catastrophe, cet album. J’en ai vraiment très honte. Mais maintenant le nouvel album, il est vraiment génial. » Donc il faudrait éviter de tomber dans ce travers.

Jean-Michel : Alors que nous, on sait que ça décline, le meilleur c’était le premier, on le sait ça. [S’adressant à Pascal] Tu l’as dis dans le 2e…

ÀDA : Est-ce qu’il y a une limite d’âge pour monter sur scène et pour faire de la musique ?

Pascal : Apparemment pas, parce qu’il y a plein de gens qui n’hésitent pas à monter sur scène à des âges canoniques…

Jean-Michel : L’étalon, c’est les Rolling Stones. Ça laisse de la marge, trente ans encore à tirer…

Pascal : Après, à partir de quel moment tu te fais honte, je ne sais pas à l’avance.

Jean-Michel : Je pense que les gens décident pour toi. Je pense que quand on ne te programme plus, c’est que c’est passé.

Pascal : Mais même si les gens te programment, des fois c’est pas forcément pour les bonnes raisons. Il faut vérifier dans son miroir, je pense.

Jean-Michel : Comment on juge, nous ?

ÀDA : Ça n’est quand même pas qu’une question d’image ?

Pascal : Non, ça n’est pas une question d’image, c’est une question de pertinence. La question fondamentale, c’est : une fois qu’on aura une retraite, un salaire universel, est-ce qu’on sera encore motivé ? Donc la réponse dans treize ans. Est-ce qu’il y aura encore une tournée de Bruit Noir, de Pires / Bouaziz dans treize ans ? Sachant qu’on ne sera pas obligé de la faire, est-ce qu’on aura quand même envie de la faire ? On ne sait pas.

ÀDA : Après les professionnels de la profession, vous dézinguez vos alter-egos, les artistes & les chanteurs. Est-ce que vous avez des réactions ou le monde est devenu tellement apathique que tout tombe dans le vide ?

Pascal : Ah, ça, c’était horrible. La chanson, « les chanteurs », c’est vraiment une chanson en réaction, une très grande colère contre tous les gens qui défilaient pendant le confinement, notamment à la radio, notamment sur France Culture, une émission qui est très respectable, qui s’appelait Affaires Culturelles. Et donc, tous les jours, il y avait un artiste boursouflé de son importance qui venait parler de ces petits malheurs, du fait du confinement, tous les jours le matin et tous les jours le même, le soir. Et au bout d’un moment, c’était tellement grotesque, je n’ai pas pu m’empêcher de faire cette chanson avec beaucoup de jouissance. Le problème, c’est que c’est la même émission, c’est la seule émission qui a passée une chanson de Bruit Noir. C’est l’émission même qui était ciblée dans la chanson, et je me suis dit, là, ils sont trop forts parce que, dans le genre, je te coupe les pattes, je te castre et je te regarde dans les yeux en disant : « Hin hin ! ». Donc ça, c’était pour moi le summum de la société du spectacle, pour prendre un grand mot, qui recycle absolument tout ce que tu peux lui renvoyer et qui en fait son beurre. D’une manière totalement désintéressée, bien sûr, mais c’était vraiment très étrange d’être aussi sincère et violent et de voir que : « ça nous fait rire, on la diffuse ». Et ça c’était terrible. Voilà pour la petite histoire. Après, c’est très courageux de leur part d’être conscients de ça et de le diffuser. Ils s’auto-renvoient un message qui est peu flatteur et c’est très courageux aussi de le faire. Je ne sais plus quelle était la question…

Jean-Michel [qui revient à la question] : Non, on n’a pas eu de retour de nos amis, mais je ne crois pas qu’ils écoutent l’album jusque là. Ils doivent écouter les trois premiers morceaux pour se dire « J’écoute le Bruit Noir, il est bien » mais ils vont jamais jusqu’au bout. Les gens qui nous entourent ne vont pas jusqu’au bout.

ADA : Et les autres artistes ?

Jean-Michel : C’est pas remonté jusqu’à nous en tout cas. S’il y en a qui ont été dérangés ça n’arrive pas jusqu’à nous. Mais comme pour les précédents [albums].

Pascal : Nos vrais amis ne se sentent pas concernés, à raison. Et puis nos faux amis n’écoutent pas. Mais il y a peu de gens qui écoutent d’une manière générale, il y a beaucoup de gens qui parlent de musique, mais il y a peu de gens qui écoutent les disques…

Jean-Michel : Ou les textes… Ils écoutent juste la musique.

Pascal : Peut-être qu’ils écoutent juste la batterie.

ÀDA : Pourquoi Wonderwoman sur la plage ?

Pascal : C’est un des miracles et des hasards de l’histoire de Bruit Noir qui parfois produit de la magie. On était sur une plage du nord pour prendre des photos, Jean-Michel et moi-même, un trente et un décembre ou un premier janvier. Et donc nous vîmes une bande de farfelus déguisés en wonder woman, en pirate, en sorcière, se baigner dans une eau proche quand même de trois ou quatre degrés à Calais. Et on s’est dit, on ne peut pas rater ça. Donc on est allé les interpeller et leur demander de participer à la séance photo. Ça n’était pas prévu et très heureux. Ils s’appellent les Bains décalés, ou les bains de Calais, c’est un jeu de mots. Les jeux de mots, c’est pas trop notre truc. Mais les dingues comme ça, on les aime bien.

Jean-Michel : En tout cas à 5 minutes près on ne se croisait pas donc c’était un heureux hasard.

Pascal : Donc tout de suite, ils ont dit oui, notamment Wonder Woman ; ils ne nous connaissaient ni d’Eve ni d’Adam, mais ça les a fait rire tout de suite. Et après, on lui a envoyé l’album et la pochette, et elle a donné son accord.

ÀDA : Sur le précédent album, on était dans la tête du gars dans le métro. Cette fois, c’est le mantra « Bruit / Noir » qui revient régulièrement dans le disque. Vous avez peur que votre public soit trop vieux pour se souvenir du nom du groupe ?

[Jean-Michel se marre…]

Pascal : C’est exactement ça. C’est comment faire entrer dans la tête des gens : en répétant, en répétant, répétant, exactement. Donc c’est vraiment une idée aussi bête. Puis c’est aussi une sorte de de mantra, d’autocélébration, une sorte de « Hom, hom » mais là je pensais que Bruit Noir c’était mieux. De toute façon pour entrer dans la tête des gens, il faut répéter, répéter, répéter constamment. C’est pour ça que les gens ont des paroles si simples et si bêtas. Il faut pas que ce soit trop compliqué, faut répéter plein de fois le refrain, il faut que le couplet soit très court et pas très challengeant au niveau du mental. C’est comme ça que ça marche.

ÀDA : Est-ce que vous êtes toujours des survivants (Success is survival – L Cohen) ?

Pascal : Ah là il y a encore plus de survivants là-dedans, puisqu’on a encore enterré plusieurs groupes. Donc oui, évidemment. C’est la question que je me posais dans le train aujourd’hui, je me disais : en fait, la seule différence entre moi et n’importe qui, c’est que moi je continue à faire semblant de prétendre que je suis auteur de chansons. Y’en a plein qui ont arrêté il y a très longtemps, mais moi je continue à vouloir y croire. Le côté survivant, c’est aussi le côté un petit peu crétin du mec qui n’a toujours pas compris. Il continue, continue, continue, il n’a pas eu l’info.
 Comme une voiture de formule 1, il n’a pas vu le drapeau et continue à tourner : le public est parti, il n’y a plus personne dans le stand, même le vendeur de hot-dog est parti et lui continue de tourner : « Ah, je vois plus de voiture, je suis le meilleur ! Je suis devant là, c’est sûr ! »

ÀDA : on se demandait il y a 5 ans quel artiste vous alliez honorer, on a maintenant la réponse avec Petit Prince.

Prince, pour moi c’est le choc d’une mort vraiment pathétique. Comme je dis dans la chanson il est mort comme une petite vieille bouffée par son chat. Tout seul dans un ascenseur bloqué. 
Et le souvenir de Prince à la grande époque, une star. Si y avait eu d’autres planètes, il aurait été une star aussi sur les autres planètes. Donc, c’est le contraste qui a fait la chanson.
Et par ailleurs, pour l’album sciences politiques [de Mendelson], on avait essayé de reprendre Sign of the times. Et il y a quand même des chansons comme ça de lui qui me sidèrent. Je parlais de simplifier… Mais arriver à ce degré de complexité dans l’écriture, dans le trouble et l’emmener au sommet des hit-parades dans le monde entier, pour moi c’est absolument miraculeux, c’est proprement génial. Si ça n’avait pas été ce moment-là, s’il n’était pas mort aussi bêtement, et s’il n’y avait pas eu ce contraste, je n’aurais jamais écrit une chanson sur Prince. A priori. Je me demande si, en plus, à ce moment-là il n’y avait pas Sinéad O’Connor qui est morte. Au moment de l’écriture ou de la prise de voix… c’est pour ça que dans la chanson, ça commence par la reprise de Sinéad O’Connor. C’est aussi un grand souvenir de vidéoclips : le visage de Sinéad O’Connor, le clip de Prince, Sign of the times, ou Purple rain, c’est des chocs visuels très puissants. La larme de Sinéad O’Connor…

Donc je ne me suis pas dit depuis que je suis tout petit « Oh, je vais écrire une chanson sur Prince. » C’est l’occasion qui a fait le larron et puis une véritable admiration pour le bonhomme. Une totale incompréhension du bonhomme aussi, puisqu’il est proprement génial, c’est sûr, et avec des goûts absolument atroces aussi. Tout se mélange, ce qui rend le personnage complètement passionnant. Quand il est mort, j’ai regardé et écouté une ou deux interviews et il est tellement lunaire, il parle avec une toute petite voix, il est tellement modeste, tellement gentil, et en même temps, tellement sûr de lui. Il est très étrange, cet homme.

ÀDA : cet album a une ambiance sonore moins abstraite : c’était une volonté d’y mettre plus de mélodies, de chaleur presque (c’est même new wave sur Artistes) ?

Jean-Michel : Oui dans l’absolu, après, je ne sais pas si c’est réussi, mais oui, faire différent puisque les envies sont différentes à chaque fois. Donc, là, il y avait une envie d’ouvrir un peu les fenêtres. Parce que le précédent, c’était quand même dans une cave, enfermé. Donc le truc un peu plus lumineux, ça s’est fait naturellement. Et puis, c’était en réaction au précédent, qui était vraiment très machine. J’avais envie de remettre une vraie batterie. Il y a des guitares et des basses, il y a des cordes. Explorer. On a cette liberté, en tout cas, on n’est pas prisonniers d’un son ou d’un tube qu’il faut refaire.

Pascal : Ah non !

Jean-Michel : Donc pour nous, c’est l’envie. Le trois par exemple était plutôt folk jazz…Il y avait une belle contrebasse, un harmonium, des belles guitares sèches…

Pascal : Astral Weeks…

Jean-Michel : Et puis, en fait, non, le destin en a décidé autrement. Donc après j’ai eu d’autres envies plus pop.

Pascal : Et comme vous l’avez compris, c’est lui le patron.

Jean-Michel : Mais c’est lui qui valide. C’est lui qui choisit les musiques.

Pascal : Et après c’est lui qui choisit les textes.

Jean-Michel : J’envoie les musiques, il dit ça, je prends, ça, je prends, ça, je prends. Après il envoie des textes, je lui dit ça on l’a déjà fait, ça c’est bien, ça, ça me fait rire. Ça, ça m’ennuie.

Pascal [citant Jean-Michel] : « Je m’ennuie, Pascal… »

Jean-Michel : Ça se fait simplement. En tout cas, on ne passe pas six mois à tergiverser sur « peut-être que… » si la musique ne l’inspire pas, elle part à la poubelle, si le texte m’ennuie ou ne me fait pas rire, on passe à autre chose. Le but de Bruit Noir, c’est que ça aille vite. Pas comme Mendelson, où ça pouvait prendre des années. À partir du moment où il me dit « c’est bon je suis prêt », il faut qu’en un mois ce soit fini. On n’est que deux, donc c’est plus facile que si on était cinq.

Pascal : Le fait même que je n’ai pas le droit de toucher une guitare, aucun instrument, ça simplifie aussi : on a chacun sa partie, on ne se mélange pas. Il ne touche pas aux textes sauf pour dire si ça l’ennuie ou pas, et moi je ne touche pas aux musiques en disant : « Tiens, tu crois pas que je pourrais faire une petite guitare ? » [rire général]

Jean-Michel : Si les gens vont jusqu’au bout du disque, ils se rendront compte que t’as pas pu t’en empêcher. Mais pour ça faut aller jusqu’au bout du disque. Allez jusqu’au bout du disque, les gens !

ÀDA : avec Le visiteur, pas besoin d’être chanteur engagé, non ? [L’auteur de la question tente d’expliciter sa demande peu claire, non sans mal, en arguant que la chanson se suffit à elle-même, qu’elle n’a pas besoin d’être estampillée « engagée »]

Pascal : Ce que tu me dis me fait penser à un message que j’ai reçu sur Facebook d’une gentille dame qui m’a demandé si on voulait participer à des concerts anti génocide ? Et je lui ai répondu : « J’espère bien que tous les concerts de Bruit Noir sont des concerts anti génocide. »
La chanson « chanteur engagé » c’est une chanson très double. C’est une conversation interne où il y a au moins deux personnes qui prennent la parole à tour de rôle. Dans Vie et destin de Vassili Grossman, sa thèse c’est : tout le monde est coupable dans un monde soviétique de dictature totalitaire. Il dit comment on distinguera le jour de la libération les coupables des non coupables, alors que tout le monde est coupable. C’est : est-ce que vous avez profité ? Est-ce que, dans le fait d’être coupable, vous avez gagné de l’argent ? Est-ce que vous avez gagné une situation ? Est-ce que vous avez gagné un bel appartement ?
L’engagement politique, ça ne me dérange pas. Il faut que la frontière soit fine entre : est-ce que j’en profite pour avoir un plus bel appartement, une piscine, avoir des plus beaux cachets, etc. du fait de mon engagement ; ou est-ce que je suis coupable, comme les autres, et je n’en profite pas. Je dirais que c’est ça la frontière entre le chanteur engagé qui fait carrière dans l’engagement et celui qui ne peut pas s’empêcher de laisser transpirer un engagement politique. La différence entre Springsteen du bon côté et Sting pour moi. Enfin Sting, c’est juste parce que c’est le premier exemple qui m’est venu, mais il y en a d’autres. La chanson des Wampas sur Manu Chao est géniale. Il y a beaucoup de fois où on ne peut pas vraiment faire beaucoup mieux que Didier Wampas. Là en l’occurrence, c’était quand même suffisamment saignant, il a dit tellement de choses que j’étais obligé de prendre un biais différent.

Est-ce que ton engagement profite plus à ta piscine et à ton petit personnel que la personne auprès de qui tu t’engages ?

C’est comme Emmanuel macron qui a été avec Lula voir le chef Raoni dont je parle dans la chanson. Le truc est tellement surréaliste, Macron qui va faire semblant de supporter la cause du chef Raoni… D’ailleurs je ne sais même pas pourquoi j’en parle, c’est tellement grotesque.

Jean-Michel : Mais il est tout le temps grotesque…

Pascal : Oui, c’est étonnant, il est fort. Avec Sarkozy, on pensait vraiment être dans la bêtise. Mais c’est une bêtise différente. C’est très instructif, les hommes politiques, ils développent chacun une bêtise particulière. François Hollande, c’était vraiment l’autosatisfaction permanente. La joie d’être lui-même, de se faire interviewer, il en avait rien à foutre de rien sauf : « Venez me parler. Je suis président de la république, je vais faire des entretiens. » L’autosatisfaction permanente. Sarkozy, la bêtise crasse de l’animateur sportif. Et là, lui, c’est différent, c’est vraiment le mépris de classe de l’agent immobilier. Bref, passons.
Il faut écouter les chansons. Les chansons sont bien plus intelligentes que les interviews.

ÀDA : Qu’est-ce que ça fait de se défouler en balançant des gros mots pendant tout un morceau - Tourette (et un peu plus même : Artistes / Béatrice) ?

Pascal : Alors ça c’est très étrange. C’est pour ça qu’il y a une chanson qui s’appelle Tourette sur l’album. C’est un album vraiment grossier, et c’est pas très malin d’être grossier et en même temps… Avec Bruit Noir, tout est possible, on a le droit à tout, etc. Et là, vraiment, c’était une période où ça dépassait tellement l’entendement que finalement, les insultes venaient toutes seules comme ça.
Jusqu’à présent je n’ai jamais été grossier avec Mendelson ou avec Bruit Noir. Mais là c’est vrai que c’est un album ordurier.
Qu’est-ce que ça fait ? Ça fait beaucoup de bien de le faire. Il y a des moments, c’était très agréable en studio de le faire, et non seulement de le faire, mais après le mixer, le laisser passer, le sortir. Après, est-ce que ce sont les morceaux qui vont le mieux vieillir ? C’est pas sûr.

ADA : Et tu le fais aussi sur scène ?

Pascal : Je ne sais pas, tu verras [ce soir-là ; ils le joueront]. C’est Jean-Michel qui fait la setliste. Souvent je lui dis : alors qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Il me dit : Allez, allez.

Jean-Michel : Ça fait partie du spectacle.

ADA : Tourettes c’est aussi un morceau de Nirvana…

Pascal : Ouais, pas terrible d’ailleurs. [rires interloqués] Non mais c’est vrai. La première face d’In Utero est magique. Mais la deuxième faut s’accrocher pour aller jusqu’au bout.

Jean-Michel : La première face, les 5 premiers morceaux, c’est des génies.

Pascal : C’est vrai, surtout lui.

ÀDA : la tournée précédente, il y avait des vidéos en fond de scène. Est-ce toujours le cas ?

Pascal : C’est une surprise. Vous allez être obligé de rester pour voir le concert…

Jean-Michel : Mais que les trois premiers morceaux, après…

Pascal : Et même le premier morceau… Il n’y a pas de vidéo, il y a de la vidéo, comme ça, vous saurez.

ADA : oui, on prend des photos et après on se casse…

Pascal : Comme tous les journalistes. [NDR : évidemment, nous sommes restés tout le concert, et… il y avait bien de la vidéo !]

ÀDA : D’autres projets sur le feu ? Avec Michel Cloup pour Pascal ? NLF 3 pour Jean-Michel ?

Pascal : Là, il se trouve qu’actuellement, ponctuellement, votre serviteur se trouve dans un petit trou de pages blanches. Je n’entends plus de voix pour l’instant. Les voix de Jeanne d’arc se sont éteintes. Mais ça va revenir. 
Effectivement, on aimerait beaucoup faire un album avec Michel, en duo, un vrai album. Et qu’il ne soit pas juste un album à deux, une chanson chacun, mais vraiment un truc écrit à deux.
On a d’autres projets avec Jean-Michel où je jouerai de la guitare. 
On aimerait bien aussi faire de la musique avec notre ami Stéphane Pignol de Oiseaux Tempête. On aimerait bien faire beaucoup de choses. Mais il faut dire qu’il faut toujours un temps, j’allais dire un temps post-échec pour pouvoir réenclencher sur un autre espoir. Il faut laisser les albums tomber dans le vide un certain temps avant de de nouveau redévelopper l’illusion que c’est nécessaire de ressortir un autre album.

Jean-Michel : il y a un album de NLF3 qui est prêt, je pense qu’il sortira à l’automne. Je suis assez monotâche, là c’est Bruit Noir, mais c’est bientôt fini, donc je pourrai passer à autre chose.
Peut-être monter un autre Bruit Noir avec un autre chanteur pour voir si c’est lui qui me porte la poisse, je ne sais pas. Tout reste ouvert.

Pascal : Tu veux des conseils, tu veux des noms ?

Jean-Michel : J’aimerais que tu n’interviennes à aucun moment dans le processus pour être sûr…

Pascal : …De qui porte la scoumoune l’un à l’autre, qui est la malchance éternelle de l’autre ou de l’un ?
Y a un mec qui a fait un album assez « Bruit Noir reggae » que j’aime beaucoup et qu’il déteste : il s’appelait Chaton. Il y avait des choses vraiment très belles, pas tout, évidemment, mais une chanson qui me touche beaucoup, en tout cas. Donc, c’était un album reggae français et qui, pourtant, me plaisait. Comme quoi…

ADA : Vos derniers coups de cœur artistiques, livre disque… ?

Pascal : Le prochain album de Non Stop qui va sortir a priori à la rentrée. J’ai eu l’honneur et la chance de pouvoir l’écouter en exclusivité et c’est absolument stupéfiant. C’est peut-être à cause de lui que je suis tombé dans le trou de la page blanche. Il y a une chanson qui s’appelle Crocodile Gandhi, qui est absolument géniale.
Et puis après, si vous voulez lire des livres qui mettent la patate le matin ; il y a Charlotte Delbo : la trilogie Auschwitz un, deux et trois.

Jean-Michel : J’ai rien sous la main là. [réfléchit]… J’ai vu Equalizer 3, mais je crois que je ne le conseillerais pas. Ça m’a mis en colère, un peu. J’aime beaucoup Denzel Washington, mais là faut pas pousser.

Pascal : Les deux premiers c’est des chefs-d’oeuvre.

Jean-Michel : Non, mais ça m’a moins mis en colère. Hum, hum.

Pascal : Un long silence. L’interview se finit sur un long silence. [À Jean-Michel] Qu’est-ce que t’as écouté dans la voiture en venant ?

Jean-Michel : Didier Rascal, son 1er album. J’ai été assez surpris et j’ai trouvé ça assez osé, parce que je connaissais mal. Mais peut-être qu’à l’époque où il est sorti, c’était ça la musique anglaise. Il y a deux morceaux qui m’ont mis un peu sur le cul.

Remerciements : Le Marché Gare, Jean-Philippe Béraud Photos FLK. Galerie complète :

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