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Dry Demos fut originellement vendu à 5000 exemplaires vinyles et 1000 exemplaires CD sous le titre Demonstration, tel un bonus accompagnant en 92 le premier album de PJ Harvey. La musicienne expliquait ainsi sa démarche : « Au début, c’était l’idée de Richard et de Paul (managers du label Too Pure sur lequel Polly venait de signer). Mais j’ai trouvé l’idée excellente car moi, en tant qu’auditrice, cela m’intéresse de savoir comment un artiste procède. Et maintenant, je travaille toujours comme cela : quand j’écris une nouvelle chanson, je l’enregistre immédiatement pour garder une trace du premier jet. Je trouve qu’après, quand tu retravailles sur un titre, tu risques de te concentrer sur les détails de finition et de perdre l’énergie et l’intensité initiales ».

Plus grunge et ténébreux que ces premières démos, l’album, produit par Rob Ellis, Head et PJ Harvey elle-même, accueillait effectivement de nombreux musiciens proches de Polly : Ben Groenevelt d’Automatic Dlamini à la basse sur “Dress”, Mike Plain et Chas Dickie (guitare et violoncelle sur “Plants and rags”), Ellis pour les cordes, Mark Vernon pour la coproduction des titres “Happy and bleeding” et “Dress”. Ils explicitèrent certaines des intentions contenues dans le 4 pistes de la compositrice, notamment cette sensation de montagne russe, de violence contenue prête à surgir (rugir) à l’improviste. Pas question néanmoins de trop s’éloigner des épures bluesy initiales : l’idée consistait justement à conserver cet état d’esprit punk, urgent, expiatoire mais rentré, que témoignaient les premières chansons de Polly.

Car à l’écoute des démos, toute la beauté vipère, la tension et les mots acariâtres de Dry sont déjà présents. Guitares électriques et violoncelles n’attendaient qu’un passage en studio afin de pleinement se déployer comme l’entendait alors Polly, mais la base, le socle de Dry, même sous forme de démos, laisse pantois d’admiration : un songwriting qui allierait Dylan et Beefheart, blues ancestral et modernité du rock. Voire même, sans la tension du résultat final, Polly semble ici étonnamment en paix avec la colère de “Dress” ou “Oh My lover”, comme si le plaisir de la composition supplantait le venin des chansons. La sorcière des sons, la déesse surnaturelle, l’Emily Brontë rock du désir et de la mort, était déjà indispensable, supérieure à toutes et à tous, même sous forme de démos (à l’âge de 22 ans). Amour éternel.