> Interviews



C’est probablement à une sorte de conclusion que nous convie Matthieu Malon avec Désamour (après Les jours sont comptés et Peut-être un jour, avec un inoubliable Froids en annonce). Creusant, de façon encore plus vaste, le territoire de l’abandon féminin et de la solitude masculine, le musicien atteint ici l’évidence de la phrase à nue, pure, parfois longue mais toujours dépourvue de la moindre ficelle, du moindre sentimentalisme extravagant.

Un acte fort qui risque de mal se comprendre. Car en France, dorénavant, les options se limitent à la facilité : brouiller les pistes et se répandre en poésie absconse, expliciter les choses et ne plus permettre à l’auditeur de s’accaparer l’histoire contée. Matthieu Malon, lui, et ce depuis toujours, refuse d’endosser un quelconque rôle de poète ou d’utiliser la musique telle une confession thérapeutique. Nous sommes ailleurs.

Docu-fiction ? Peut-être. Dans Désamour, la vérité crue outrepasse largement les épaules de son auteur. Il ne s’agit plus de parler de soi, mais d’universaliser un petit moment d’existence que chacun aurait un jour vécu. Tout est clair, tout se conçoit. Sauf que, par sens du mot juste, MM laisse poindre les questions : où se situe la frontière séparant le vrai de sa mise en fiction ? Qu’est-ce qui sépare l’intime de la réappropriation littéraire ? Comment transformer le « je » en « nous » ? Une exigence textuelle qui, normalement, devrait être le commun de tous les paroliers français contemporains. Normalement, en effet : à force de se regarder écrire, de chercher une illusoire reconnaissance, la musique française ne nous parle plus. Elle s’occupe trop d’elle-même pour réfléchir à ce lien, primordial, qui permet l’identification. D’où l’importance de Désamour, et de Matthieu Malon en général.

Au commandeur de s’expliquer.

ADA : Comment as-tu concilié la rigueur introspective de Désamour avec l’hédonisme de Breaking The Wave ? Les deux albums furent-ils écrits dans des temps proches ?

Matthieu Malon : J’ai toujours su compartimenter mentalement. C’est mon côté un peu schizo, et j’ai toujours aimé avoir plusieurs projets en même temps. Mais pour ce cas précis, la majeure partie de désamour était écrite et enregistrée quand on a lancé l’écriture du premier album de Breaking The Wave. On s’est décidé en décembre 2016 et on s’y est mis de suite, Joseph d’abord un peu plus que moi et puis les choses sont venues vite et naturellement. Le disque était écrit, enregistré et mixé en 6 mois. Un petit miracle si tu le compares à désamour qui m’a occupé l’esprit pendant environ 18 mois…

Photo de Rita Zaraï

ADA : Tu affirmes que ce nouvel album marque la fin d’un cycle (en français). On le ressent ainsi, il est très conclusif mais également ferme, radical. Envisages-tu sérieusement de ne plus revenir à la langue française ?

Matthieu Malon : Je vais la mettre un temps de côté, comme j’ai déjà fait par le passé, mais je pense que ce sera moins long que la fois précédente (10 ans entre Les jours sont comptés et Peut-être un jour). Je parle en ce moment de ma « trilogie amoureuse », j’exclus un peu le premier album que j’estime un peu à part - surtout par son propos - et c’est vrai que je pense avoir fait le tour de la question, j’en suis même persuadé. Je vais avoir envie de parler d’autres choses, mais pour le moment je ne sais pas encore de quoi. Et il faut sans doute que je vive un peu des trucs dans ma vie, avant de remettre le couvert. Donc pour l’instant, pour toutes ces raisons, j’ai plutôt envie de danser, d’être un peu plus « léger » dans mon propos, et donc pour ça je vais changer mon fusil d’épaule. Jusqu’à la prochaine fois.

ADA : L’un des aspects que j’ai toujours aimé dans tes albums sous ton propre nom, c’est une capacité à ne jamais se répandre en mots superflus. Pas de poésie absconse, pas de tricherie. Le langage y est souvent cru, direct, basique même parfois. Question purement technique : épures-tu beaucoup afin d’arriver à cet essentiel ? Ou bien les mots jaillissent-ils selon une nécessité incontrôlable ?

Matthieu Malon : J’aurais envie de répondre ni l’un ni l’autre, car je ne sais pas bien répondre à cette question. Oui je crois que j’aime aller à l’essentiel, j’aime être cru tout en restant pudique. Cette dualité m’intéresse depuis Froids. L’intimité totale mais sans trop de lumière. J’écris peu, généralement dans des moments recentrés autour d’un projet de disque. Ca doit participer à ce rendu final, l’urgence et l’envie quand même de ne rien déformer de la vérité que je veux dire. Je corrige peu, souvent les refrains viennent d’un coup, et pour le reste je prends des notes tout le temps, partout, avec un crayon, mon téléphone, mon iPad. Il faut surtout se discipliner pour ne rater aucune idée quand elle arrive, et ne pas la perdre ensuite.

ADA : Dans cette méthode d’écriture, comment réussis-tu à injecter une imperceptible fiction dans des histoires très personnelles ?

Matthieu Malon : Toujours par pudeur, je change quelques éléments des histoires de ma vie. J’essaie d’éviter que ce soit pour enjoliver une situation, d’un côté comme de l’autre du couple. Je crois vraiment que je ne me fais pas plus de fleurs qu’à l’autre. Je ne me transforme pas en héros. Pour désamour, c’était quelque chose de très important, j’allais aborder des histoires compliquées, personnelles et je ne voulais pas qu’il y ait des impressions revanchardes ou malveillantes, sans sombrer dans la complaisance. Alors c’était évident que ça n’allait pas égratigner que moi. Dominique A a dit un jour (je crois que c’est lui) qu’il faut un jour arrêter de penser à nos proches quand on écrit des chansons. Comme je voulais raconter tout ça avec ce ton là, j’y ai pas mal pensé aussi au moment d’écrire les textes de désamour.

ADA : Premier titre de The Cure entendu ? A partir de quelle période as-tu lâché Robert Smith (pour, j’imagine, comme nous tous, le retrouver le temps de l’album The Cure) ?

Matthieu Malon : J’ai découvert The Cure à mon entrée au lycée en seconde, fin 1987. J’étais en classe avec une grosse bande de fans de rock indé (dont quelques uns lisaient déjà les Inrockuptibles et m’ont fait découvrir le magazine). Les rencontrer a bouleversé ma vie. L’album Kiss Me Kiss Me Kiss Me était sorti quelques mois plus tôt et je pense que c’est ce que j’ai du entendre pour débuter. Après ce furent les premiers disques et surtout Pornography. Je crois avoir encore la cassette qu’on m’avait enregistré depuis un vinyle. Une onde de choc.

Je suis toujours plus ou moins la carrière de Bob, mais c’est vrai qu’après Disintegration, l’envie n’y était plus trop, à part avec ce disque noir et habité de 2004. Il revient quand ?

ADA : Un mot sur les reprises Morrissey que tu as enregistrées avec Alex pour le tribute ADA ? Comment avez-vous tous deux travaillé ? La voix d’Alex est inhabituelle je trouve, il dévoile une nouvelle (et remarquable) palette de son chant...

Matthieu Malon : Quand on a évoqué le truc, je crois que je cherchais d’abord à l’inciter à reprendre une des chansons qui restait disponible, pour aider à clôturer le tribute. En prolongeant cette discussion, on a du évoquer l’idée d’une collaboration et parce qu’il restait plusieurs titres, on s’est dit qu’on pourrait travailler selon la même méthode mais chacun de notre côté. On avait tous deux peu de temps mais l’envie. Alors chacun a travaillé à une musique, qu’il a ensuite envoyé à l’autre (oui oui on habite dans la même ville…) qui a enregistré la voix dessus, et qui l’a à son tour renvoyé au premier, pour qu’il termine la reprise autour de la voix. Oui, Alex chante différemment, sûrement aussi parce que ce n’est pas son registre à la base, mais ça donne un truc chouette, je pense, un peu à la façon de The Postal Service, pour les sonorités vocales similaires, ce qui est un compliment de ma part !

Photo de Rita Zaraï

ADA : Prochaine étape : un nouveau laudanum ? Tu viens donc de racheter tes anciennes machines. C’est une belle histoire. Peux-tu la raconter ?

Matthieu Malon : Oui, j’ai prévu de m’y mettre au tout début 2018 avec l’envie de faire quelque chose de spontané et de direct. A l’inverse des précédents laudanum, ne pas passer trop de temps et me perdre dans la programmation et la recherche du son parfait. Plutôt privilégier l’instant créatif initial, autant que possible. Je veux aussi un format plus court, pas un album, plutôt un 4 ou 5 titres. Donc ça devrait arriver rapidement, enfin j’espère !

Mes vieux claviers : quand j’ai déménagé en 2011, j’allais être papa et j’ai eu peur de manquer de place dans la maison qu’on allait occuper, j’ai fait beaucoup de tri, de rangement, de classement (ce qui m’arrive rarement…) et j’ai décidé de me séparer de 2 claviers qui m’accompagnaient depuis 10 ans, et qui avaient forgé le son laudanum. J’étais alors persuadé qu’ils ne me manqueraient pas, que j’avais fait le tour. Je les ai vendus à un ami qui m’avait toujours dit « si tu en as besoin, n’hésite pas ». J’avais un peu oublié, jusqu’à leur existence. Cette année, quand je me suis décidé à reprendre le projet laudanum, j’ai eu une boule au ventre : en fait j’allais difficilement pouvoir faire sans. Mais emprunter ces machines, ce n’était pas possible, je sentais que je ne les aurais pas utilisées aussi bien, c’est idiot mais il fallait qu’elle soient à nouveau à moi. Alors j’en ai parlé à cet ami et il a très gentiment accepté de me les revendre… je viens tout juste de les récupérer et de les rebrancher cette semaine, c’était très émouvant pour moi de les retrouver.

ADA : Tu multiplies les collaborations (nous en sommes les témoins privilégiés sur ADA). As-tu un rêve réalisable en ce domaine ?

Matthieu Malon : Jammer avec Damon Albarn ? Faire chanter Tricky et Martina Topley Bird sur un titre de laudanum ? Proposer un titre à Colin Newman ? À Stephen Malkmus : ça pourrait être amusant de le faire chanter sur un truc bien electro. Mais la liste pourrait être très longue : David Gedge, Jim Reid, Guy Chadwick. Retrouver Ian Masters et lui donner envie de refaire des chansons. Stuart Staples sur un morceau dancefloor ? Aller enregistrer chez Steve Albini. Sinon, plus près de chez nous, je suis ouvert à toutes les propositions !

ADA : Ce disque est très autobiographique, un bilan post quarantaine. Comment doses-tu pour ne pas tomber dans le pathos ?

Matthieu Malon : Je ne me suis pas trop posé la question, je savais par contre que je voulais éviter l’écueil du disque complaisant, plaintif et surtout revanchard, tout ce que ne doit pas être un disque qui parle de rupture et de la perte de l’amour. Ce seul principe m’a permis de ne pas me censurer, tout en restant quand même assez flou parfois pour ne pas provoquer de malaises.

ADA : Tu es très présent sur les réseaux. Arrives-tu à avoir suffisamment de recul pour voir si cette présence sert tes productions ou au final dilue celles-ci par trop de présence ?

Matthieu Malon : Je ne sais pas. Mais c’est devenu une nécessité, vu que les autre vecteurs médiatiques ne parlent pas de moi ou presque. Ma fan base est assez présente sur les réseaux, et c’est un des seuls outils que j’ai pour faire la promotion de mes projets (avec mon site web). Le label qui sort mon dernier disque n’a pas les moyens d’investir dans un plan promo national, alors on fait avec les moyens du bord. Ce n’est pas complètement satisfaisant, car ça ne permet pas d’en sortir et d’aller vers la presse, les radios etc, mais je dois pour le moment m’en contenter. Alors j’essaie de faire au mieux, présent sans être envahissant. C’est en effet une question de dosage et il faut faire attention car on peut vite agacer.

ADA : que penses-tu aujourd’hui de la mainmise opérée par La Souterraine dans le domaine de la « chanson en français " ?

Matthieu Malon : Je me demande comment ils font pour sortir autant de choses. Ok, c’est une question de réseau mais c’est fou, non ? Pour chaque sortie, je vais généralement écouter sur leur site bandcamp et il y a parfois de sacrées bonnes chansons.

Après, ça devient un peu le passage obligé pour un chanteur francophone, comme une sorte de « label qualité ». Je pense que c’est super que ça existe mais ça devrait inciter plein d’autres jeunes motivés à monter leur label, parce qu’on commence à en manquer en France, non ?

Photo de Rita Zaraï

ADA : Ecrire des chansons sur ta vie, c’est libérateur, cathartique ou une souffrance ? D’ailleurs les chansons ne respirant pas les bonnes nouvelles n’as-tu pas peur de les chanter sur scène avec le risque de t’affronter à tes propres émotions ?

Matthieu Malon : Guérir le mal par le mal, sans doute. Ca a souvent été mon leitmotiv. C’est comme d’écouter un disque triste quand on la blues : souvent après ça va mieux.

Mais bon, je suis forcément passé par des moments difficiles à l’écriture de ce disque. Mais sur scène pour le moment ça se passe vraiment bien, les gens sont plutôt bienveillants avec moi et mes histoires lugubres.

ADA : Disque sombre, pochette à la noirceur digne de #3, mais il y a de l’espoir chez Matthieu Malon, Désamour avant des amours ?

Matthieu Malon : Bien sûr, c’est le message de ce disque et si la chanson « désamour » a donné son nom à l’album (qui devait s’appeler Fugues initialement), c’est parce que le message des paroles « désapprendre à t’aimer » permet bien sûr d’envisager l’après. La vie continue, coute que coute. J’aime beaucoup trop la vie pour me laisser abattre. Alors je suis à terre, parfois, mais je me relève, toujours.

ADA : Tu aimes avoir 45 ans en 2017 ?

Matthieu Malon : C’est une drôle d’époque. Trop d’informations, trop de tout. L’économie est folle, la politique est un bordel innommable, on a plus d’argent, plus de boulot. On rigole pas des masses. Mais on s’accroche et plein de choses valent d’être vécues. Mes deux petites filles sont aussi une sacrée motivation. Après je ne te cache pas que je préfèrerais avoir 25 ans que 45.

ADA : Tu es un boulimique de travail, un projet semblant chasser l’autre. C’est le hasard, des rencontres, ou tu as cette urgence chevillée au corps qui fait que tu as besoin de te replonger sans cesse dans tes machines ou sur ta guitare ?

Matthieu Malon : J’aime l’urgence, j’aime lancer des projets sinon je m’ennuie dans la vie. Et comme ce que j’aime par dessus tout c’est la musique, alors je lance des projets musicaux. Mais j’aime aussi les phases d’inaction, d’ennui, de calme. J’ai d’ailleurs décidé depuis plusieurs mois que la fin 2017 serait plutôt oisive, les projets s’arrêtant tous à peu près en ce moment. Je ressens le besoin de décrocher un peu pour mieux revenir l’année prochaine. Et puis j’ai un paquet de livres, de films, de séries et de disques en retard pour m’occuper. Ca va me faire du bien.

ADA : Que retiens-tu, ces dix dernières années, en matière de musique ?

Matthieu Malon : D’abord les énormes découvertes : Bill Fay, que je ne connaissais pas et Suuns, dont je suis un immense fan depuis le premier album (en disque, comme en live).

C’est vraiment difficile de faire un coup de rétroviseur sur 10 ans sans en oublier, mais je pense immédiatement au retour attendu de The White Birch il y a 2 ans, aux live de Thee Oh Sees, à The Soft Moon. A la découverte de Damien Jurado, de Perfume Genius, de Peter Kernel, de Courtney Barnett, de Beak. En France, je pense à Zombie Zombie. Et puis j’ai découvert les Black Angels, un peu après tout le monde, pour leur 3e album en 2010.

ADA : Sur le précédent album les chansons étaient illustrées par un plan séquence.Tu vas tourner une vidéo pour chaque chanson de l’album, un plan fixe (ou presque) sur une participante chantant en play-back les paroles du titres (dont, pour démarrer, une Merveille pour La Coureuse). Où en es-tu de ton objectif ? Et pourquoi cette idée de mise en scène ?

Matthieu Malon : J’ai fini aujourd’hui, il y a quelques heures. La diffusion commence dans 2 jours, au rythme d’une vidéo par semaine, chaque vendredi à 11h. L’idée c’était de remettre le couvert et d’illustrer chaque chanson du disque, juste parce que c’est chouette finalement d’avoir des visuels sur youtube pour mes chansons. Comme je n’avais pas l’équipe de réalisateurs du précédent disque cette fois, j’ai décidé d’essayer tout seul et de tout faire moi même, alors que je n’y connais rien. Mais je ne voulais pas être à l’image, on m’avait assez vu avec « peut-être un jour ». Donc naturellement, j’ai pensé proposer à des amis de participer et il me semblait intéressant que le propos du disque soit illustré par des femmes. Comme si elles prenaient ma place pour raconter ces histoires, en doublant ma voix à l’image. J’ai tout filmé avec mon téléphone et j’ai monté comme un grand à la maison. Vous m’en direz des nouvelles !