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Ce fut Rémi Laffitte (boss d’Atelier Ciseaux) qui, été 2016, m’offrit un CD promo du prochain Night Riders. « Tu me diras ce que tu en penses, mais moi j’adore », me confiait-il entre deux pintes de bière. Et comme Rémi ne se trompe jamais (franchement, je n’ai guère souvenir d’un coup de cœur de Rémi m’ayant laissé perplexe – ce mec est le plus ahurissant mélomane de la sphère labels indés), Meta, deuxième album du groupe, s’écouta le soir même. Charme insidieux : première approche fascinante mais à renouveler, électro maussade mais dansante, voix lointaine mais touchante. Et puis, à force d’incessants retours, une fascination, un amour adolescent pour ces constructions sans début ni fin, qui interrogent le rôle du fêtard au moment où les portes se ferment et l’after se change en dilemme : poursuivre malgré la fatigue, ou bien abandonner et laisser le trip se finir en solitaire ? Grand disque thématique, libre et sans contrainte (piano et saxo s’invitent à la danse).

Un superbe concert au Supersonic (en décembre dernier), puis une première rencontre avec Charlotte Leclerc (chanteuse, musicienne magicienne en compagnie d’Anthony Gauchy et Jean-Baptiste Larché), imposèrent l’évidence : il fallait en savoir plus. Dispo, joviale, pointilleuse (comme sa musique), Charlotte répond en détail à nos questions. Belle personne.

ADA : D’où vient cette passion pour l’électronique ? Car il est très difficile de cataloguer le groupe. Ce n’est ni synthpop ni pleinement clubbing, ni trance ni minimal...

Je crois que c’est avant tout une passion pour la musique de manière générale. Nos goûts sont éclectiques et ne connaissent pas les genres. C’eut été trop simple de n’aimer que la techno, le rock, le jazz ou le classique. Aucun d’entre nous n’a commencé la pratique de la musique par la voie de la musique électronique ; néanmoins elle est indissociable de nos vies puisque nous avons grandi parallèlement à sa popularisation, difficile donc de passer à côté. De plus, Anthony et Jean-Baptiste y sont venus peu à peu par la voie de la synth wave avec un projet qu’ils avaient il y a maintenant 10 ans et dont j’étais très fan. C’était une formation rock mais certains beats étaient faits avec des boîtes à rythmes, et il y avait des nappes de synthétiseur qui venaient y ajouter une touche assez froide.

ADA : Accepterais-tu l’idée d’une musique qui serait un peu l’after de l’after ? C’est-à-dire : qui résonne au moment où les résidents de la piste dansante se sentiraient à mi-chemin entre les derniers soubresauts des excès du jour et le refus de comater ? Une musique de l’entre-deux ?

Oui, il me semble que la musique que nous produisons est bien celle de l’after de l’after. L’exploration de "l’état second" et du lâcher prise a toujours été au centre de notre processus créatif. Je ne sais d’ailleurs pas si c’est perceptible pour tous les auditeurs, mais oui, plus nous évoluons plus notre musique semble dédiée à ce moment où sachant qu’il faudrait aller se reposer, on s’y refuserait afin de prolonger ce flou provoqué par l’ivresse, la fatigue, comme suspendu dans le temps, quand l’aube semble durer une éternité.

ADA : Night Riders : la liberté de tout se permettre ? Par exemple : du piano, un saxo ?

Oui, Night Riders a pour vocation d’être un terrain de jeu. Sur scène, il est clair que le parti pris est celui du synthétique mais en studio, nous utilisons aussi des instruments acoustiques parce qu’ils permettent l’ajout de textures, de spectres. Il n’y a pour nous malgré tout pas d’échelle de valeur entre les uns et les autres. Un synthétiseur ne remplacera jamais une guitare, la réciproque étant tout autant valable. Il s’agit principalement de savoir quelle couleur on veut donner aux choses et quelles sont les possibilités d’y parvenir. En l’occurrence sur notre dernier album, nous avons pu enregistrer du saxophone et du balafon parce que ces deux musiciens fabuleux que sont respectivement Thomas de Pourquery et Lansiné Kouyaté ont bien voulu nous offrir de leur temps et de leur maîtrise. Sans eux, ça n’aurait pas été possible. Pour le piano, c’est pareil : une affaire de possibilité. Un piano à queue venait d’être accordé et nous y avions accès, et puisque nous sommes autonomes pour l’enregistrement, nous avons saisi l’opportunité !

ADA : L’idée de musique longiligne, répétitive, est-elle importante pour toi ? Dans le sens où vous pouvez ainsi lui accoler toutes les idées, les envies ou expérimentations possibles ?

La musique répétitive est importante, oui. J’ai grandi sur une île tropicale dont la musique traditionnelle, le maloya, s’apparente davantage à des incantations ternaires de sorciers du canal du Mozambique qu’à un rock prolétaire binaire du Nord de l’Angleterre. Cette musique, initialement chant d’esclaves, a bercé mon enfance. Associée à sa danse, très physique, elle mène à un état de transe, un de ces possibles "état second" que je nommais précédemment. Cependant, ici, ce sont les machines qui nous contraignent à ces répétitions. Comme nous n’utilisons pas d’ordinateur dans le processus de composition, nous sommes assujettis aux limites de nos séquenceurs, le nombre de pas, de mesures programmables. Mais j’ai toujours pensé que de la contrainte naissait la liberté. Par des jeux d’arrangements, de changements de tonalités, de placements du chant, la répétition devient le socle qui vient draguer l’auditeur pour l’emmener au-delà de la perception qu’il a de lui-même, de tout intellect, vers le monde des sensations.

ADA : Le chant est absolument fascinant. L’auditeur a l’impression d’une créature nocturne qui refuse le coma pour insister sur ses réserves. Comment te viennent les idées de paroles ? Écris-tu à l’instinct ou bien cherches-tu à développer des atmosphères ou des thématiques précises ? En quoi tes mots sont-ils intimes ?

Les paroles viennent toujours après la musique, comme pour y atterrir. Mais je n’écris pas seule. Nous écrivons. Soit chacun de notre côté, soit ensemble. Il nous arrive même de faire des cadavres exquis. Dans tous les cas, nous remanions toujours les mots et les harmonies ensemble pour que le chant nous satisfasse tous in fine. Pour ce qui est du contenu des chansons, nous établissons toujours une thématique par album. Une fois les ornières posées, les idées pleuvent. Pour Future Noir (NDLA : premier album groupe, sorti en 2014), c’était la conquête spatiale, pour Meta, une nuit dans Paris. Il y a des textes plus laborieux que d’autres à écrire, c’est certain, mais c’est un exercice comme un autre, une sorte d’habitude. Pour ce qui est de mon rapport aux mots que je chante, c’est une bonne question, parce que j’y pense souvent. Que ce soit moi ou les autres qui écrivons, les chansons ont certes un sens global que je m’approprie dès le départ mais c’est comme de rencontrer quelqu’un. Au début, le rapport est timide. On pourrait croire que c’est ennuyeux de répéter toujours les mêmes chansons mais au contraire, après les avoir usées jusqu’à la corde, avec le temps, chaque mot d’entre elles est à lui seul d’une portée inouïe, et cette portée est mouvante selon l’humeur, les expériences. Rien n’est immuable. Parfois, lors d’une répétition, ou d’un concert, j’ai l’impression d’enfin véritablement saisir ce qu’il se trame au fond d’un texte et puis je me le dis à nouveau quelques temps après. J’entends par là que rien n’est figé et que c’est un réel plaisir de devoir toujours creuser au fond des mots.

ADA : Je ressens Night Riders tel un groupe intransigeant, certes, mais à potentiel populaire. Il s’agit, je trouve, d’une musique qui converse intimement avec l’auditeur. Celui-ci s’y retrouve. Cette idée de connivence avec l’auditeur, d’ouverture des possibles, est-ce un point essentiel à tes yeux ou bien votre démarche musicale vous entraîne-t-elle naturellement vers une certaine osmose avec le public ?

Nous avons certes conscience de ne pas faire une musique dite facile mais finalement, oui, elle parle à plus de monde qu’il n’y paraît. La démarche a toujours été "pop" si j’ose dire. Le chant et ses schémas couplet-refrain étant censé en être le point d’accès pour tous. L’adhérence du public se fait assez naturellement puisque les gens aiment ou n’aiment pas Night Riders. Avec les années, nous nous sommes rendus compte qu’il n’y avait pas de demi-mesure. Quand ils aiment, ils aiment vraiment et c’est assez gratifiant.

ADA : Sur ce point, le concert au Supersonic était particulièrement grandiose. Le public était sous le charme (même ceux qui ne vous connaissaient pas). Ton souvenir, ton feeling sur cette soirée ?

Tout d’abord, merci. Toutes les conditions étaient réunies pour que ce soit un bon concert, malgré le désistement de Blackmail. Olaf Hund avait bien aussi mis les gens en jambes avant nous. Jouer, c’est la finalité de tout le travail effectué en amont. C’est terriblement excitant, euphorisant. Le public semblait emballé, oui. Les gens dansaient, sifflaient, applaudissaient, c’était rigolo. Un concert, lorsqu’on est sur scène, c’est beaucoup de concentration, on est affairé à jouer et/ou à chanter, ça défile à une vitesse incroyable, comme si le temps se contractait. C’était une excellente soirée, nous y avons pris beaucoup de plaisir.

ADA : La suite ? D’autres concerts ? De nouvelles compos ?

Nous allons enregistrer de nouvelles choses d’ici peu, nous sommes en train d’organiser ça. Je ne peux pas vous dire à quoi ça ressemblera puisqu’on ne compose jamais rien à l’avance. Pour les concerts, j’espère qu’il y en aura plein d’autres.

ADA : quels furent tes premiers émois musicaux ? Quand as-tu décidé de te lancer dans la musique ? La rencontre avec Anthony et Jean-Baptiste ? La création du projet Night Riders ?

J’ai toujours été absorbée par la musique, aussi loin que je m’en souvienne. A 5 ans, je voulais déjà être pianiste. J’ai été bercée par la musique classique et notamment la musique de chambre mais le premier concert auquel j’ai assisté à 6 ans était un concert de James Brown dans une fête foraine et j’ai pris une claque incroyable ! J’avais conscience de son âge mais l’énergie dégagée par ce vieux monsieur était folle ! Mon père m’a ensuite emmenée voir Ahmad Jamal à 8 ans et j’ai su ce jour-là que j’aimerai le jazz de manière inconditionnelle. Mais des émois, j’en ai eu plein, je me baladais toujours avec mon Band of Gypsys de Jimmy Hendrix, par exemple. Alors, je me suis mise à la musique dès que j’ai pu. J’ai rencontré Anthony et Jean-Baptiste parce que je vivais une histoire d’amour avec un de leurs amis. Et puis, ils ont appris que je chantais et m’ont proposé de poser des voix sur un de leurs projets et de fil en aiguille, de créer Night Riders. Maintenant, on évolue dans ce projet, et on se le dit souvent en rigolant, mais on espère que ce sera pour la vie !

Meta (PV Records)

http://www.nightriders.fr/

https://fr-fr.facebook.com/night.riders.1984/



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