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Un soir d’octobre. Un journal rock organise un événement constitué de trois groupes francophones. Avec les autres roadies, on installe le matos de la dernière formation ; puis, en manque de nicotine, on quitte l’imposante salle pour rejoindre le fumoir. En chemin, un duo féminin nous demande un renseignement à propos de l’album autoproduit qu’elles viennent d’éditer. Très vite, par soudaine connivence, la discussion devient plus sérieuse. Le projet se nomme ODIVIA. Au chant, une australienne fraîchement parisienne répondant au doux nom de Bella Jabara. À la composition, une multi-instrumentiste nommée Audrey Van Kempen. Bella et Audrey parlent d’electro-pop et de soul avec une telle passion, une telle ferveur, que l’on promet d’écouter l’EP, sans faute… Le lendemain, on enclenche la lecture. L’évidence apparaît immédiatement : cinq titres hyper accrocheurs, très chiadés niveau arrangements, au confluent de plusieurs styles mais produits avec science et homogénéité. ODIVIA : une electro-soul-pop-rock qui devrait affoler les radios et, dans le même mouvement, contenter le public indie-pop… Quelques mails plus tard, et l’envie de retranscrire sur papier les impressions de cette première rencontre. Comme un pari. La foi en un projet qui, on l’espère, trouvera son envol… Bella et Audrey, sœurs d’âme, parlent ODIVIA.

ADA : Bella et Audrey, pouvez-vous me parler de vos débuts dans la musique ?

BELLA : En fait, ma mère m’a donné une petite radio à piles avec un micro en plastique quand j’avais cinq ans, et je me promenais dans la maison avec cette radio en chantant dans le micro et en dansant comme une vraie petite star ! J’ai également été influencée par mon grand-père qui jouait du piano ; et par mon père qui chantait, jouait du violon et de l’harmonica. De plus, pour son travail, mon père organisait très souvent des soirées à la maison durant le weekend, soirées dans lesquelles la musique était centrale : tout le monde chantait, dansait et s’amusait beaucoup ; et les enfants étaient toujours très impliqués dans les diverses activités artistiques menées au cours de ces soirées. Cela m’a donné très tôt l’envie de monter sur scène et m’a fait réaliser l’importance de partager des émotions avec un public.

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Photos by Eric Tibusch / Marco Tassini

AUDREY : Mes deux grands-pères passaient aussi très souvent des disques quand, petite, j’allais leur rendre visite : pour l’un, c’était les grands chanteurs français de l’époque (Brel, Brassens…) ; ce qui m’a donné très tôt le goût des beaux textes et m’a permis de réaliser la puissance et le pouvoir des mots. L’autre écoutait beaucoup de musique classique et m’a initiée aux belles mélodies, poignantes, vibrantes, de celles qui peuvent vous faire rire ou pleurer. Cela m’a conduite à étudier le piano.

ADA : Vos premiers émois musicaux ?

BELLA : Mes premiers gros coups de cœur furent « The Immaculate Collection » de Madonna, « Live at Wembley ‘86 » de Queen, « Music Box » de Mariah Carey et « Diamonds and Pearls » de Prince. Plus tard, j’ai beaucoup écouté Christina Aguilera ainsi que beaucoup d’artistes d’influences hip hop, jazz et soul tels que Nina Simone, Jill Scott and Common.

AUDREY : J’écoute des choses très variées et mes influences font référence à diverses époques…Très tôt, mon père, amateur de musique, m’a fait découvrir les artistes des années 60/70 (Elvis Presley, Joan Baez, Simon and Garfunkel, les Beatles, ABBA…). Mais j’ai grandi avec la musique des années 90, la pop et le rock en particulier (Radiohead, Skunk Anansie, Alanis Morissette…). Au début des années 2000, je suis venue à des influences plus electro, avec le cataclysme Daft Punk, Prodigy, l’album « Kid A » de Radiohead, Björk…

ADA : Bella, tu es australienne et vis dorénavant en France. Sans vouloir être indiscret, quel cheminement personnel te conduisit à quitter l’Australie pour la France ?

BELLA : En fait, l’an dernier, j’ai fait un voyage en Europe au cours duquel j’ai visité la France. Et Paris a littéralement gagné mon cœur. Au cours de mon séjour à Paris, j’ai eu l’occasion de rencontrer des musiciens avec qui j’ai partagé quelques « jam sessions ». J’ai découvert en France un esprit artistique que je n’avais jamais expérimenté auparavant et auquel je voulais vraiment prendre part, comme une intuition, ou une révélation. Alors j’ai décidé de revenir dès que possible… Et me voilà !

ADA : L’electro-pop était-elle une logique naturelle ? Vous possédez également des racines soul. Comment avez-vous évolué musicalement ?

BELLA : Oui, c’est vrai que ma technique de chant est à la base très influencée par la soul et le RnB et qu’en Australie, mon répertoire reflétait clairement ces influences. Mais j’ai grandi en écoutant aussi beaucoup de pop music, donc ce ne m’était pas complètement étranger. Quand j’ai eu l’opportunité de faire partie d’ODIVIA, j’ai tout de suite été très emballée par le répertoire et l’univers du projet ; et les chansons m’ont fait l’effet d’être d’excellents morceaux pop. Mon évolution musicale s’est donc imposée d’elle-même et nous avons travaillé afin de trouver la voix la plus juste possible pour mettre les chansons en valeur dans une optique plus electro-pop, et moins soul.

AUDREY : Pour ODIVIA, j’ai essayé de mélanger un peu toutes mes influences, actuelles ou anciennes, sans limite de styles, avec les sons electro actuels que j’aime. L’objectif était que ma musique ressemble à ce que je suis, avec mes côtés sombres, mes doutes, mes espoirs, mes sourires…Car finalement, ma matière première, c’est l’Humain. Je n’ai jamais cherché à faire de la « démonstration musicale » pour être « hype » à tout prix. Mon objectif est de passer des émotions avant tout, simplement ; et si d’autres se reconnaissent dans ma musique, alors j’ai atteint mon but…

ADA : Bella, à l’écoute de ton premier EP, on pense à la sophistication de chanteuses electro telles que Ladyhawke ou La Roux… Est-ce un cousinage avec lequel tu serais en accord ?

BELLA : Ce sont des artistes de talent que j’admire ; être comparée à ces musiciennes est donc un honneur !

ADA : Tu arrives à faire danser – ou, du moins, à donner l’envie de danser - tout en divulguant la sensation d’une musique éminemment personnelle qui possède, en creux, une certaine nostalgie (je n’emploierai pas le mot « mélancolie »)… Dancing with tears in my eyes ?

BELLA : Merci de l’avoir remarqué ! C’est très important pour nous d’allier le côté « fun » de la musique à de véritables émotions. Il y a une réelle histoire (à laquelle je m’identifie) dans chaque chanson ; et c’est également pourquoi ce projet m’a touché quand je l’ai découvert. Alors oui, Dancing with tears in my eyes est un bon résumé ! La fusion entre une certaine nostalgie des choses passées (ou non atteintes) et un élan positif qui nous rappelle que tout reste à faire et que rien n’est perdu…. C’était aussi important pour nous de proposer une profondeur derrière l’aspect plus « mainstream » des mélodies.

ADA : Pouvez-vous me parler de votre rencontre ?

AUDREY : J’ai rencontré Bella par Internet en mettant une annonce sur un site d’Expats. J’avais écrit ce répertoire sur lequel je travaillais déjà depuis un an avec Jules de Gasperis (l’arrangeur des morceaux) et je cherchais une chanteuse anglophone (les textes étant en anglais) avec une voix qui me touche. Bella a répondu à mon annonce deux jours après que je l’aie postée et elle est venue faire un essai sur deux titres. Elle avait déjà une bonne expérience de la musique et de la scène en Australie, et elle s’est instantanément approprié les titres pour les mettre en valeur. Nous avons pas mal d’influences communes, ce qui peut expliquer qu’une alchimie musicale se soit créée. Pour le reste, nous nous entendons et nous complétons très bien : j’ai un caractère à remettre toujours les choses en questions, très terre à terre, je doute autant que j’y crois, et c’est aussi cela qui me fait avancer. Bella a cet enthousiasme et ce positivisme très anglo-saxon qui vient contrebalancer cet aspect de ma personnalité : elle est très motivante et très investie.

BELLA : Audrey et moi sommes très proches et nous formons un duo de travail très efficace. J’ai beaucoup de chance de l’avoir rencontrée et de faire partie de ce projet. Audrey a écrit et composé les chansons et elle cherchait une chanteuse pour incarner le projet. Elle a posté une annonce sur Internet au moment où je suis arrivée en France. Et quand nous nous sommes rencontrées, l’alchimie s’est créée tout de suite.

ADA : Audrey, tu sembles y mettre toute ta musique ainsi que ton amour de la composition. As-tu trouvé une chanteuse enfin à la hauteur de tes envies musicales ? Le binôme rêvé ?

AUDREY : Oui, sans aucun doute ! Travailler avec Bella est un pur bonheur. Elle est habitée par ce qu’elle chante et cela transparait dans sa façon d’interpréter et de s’approprier les morceaux. Quand on est auteure, on ne peut espérer mieux, d’autant qu’elle le fait avec un vrai talent et sa voix veloutée me touche.

ADA : Pouvez-vous éclaircir le travail en studio ? Avant d’enregistrer les titres, comment se déroula le travail entre une compositrice (Audrey) et une chanteuse en osmose avec les compositions (Bella) ?

AUDREY : En fait, Bella connaît très bien le travail de chanteuse. Il est donc facile de travailler avec elle. Elle est très pro. Le travail en amont a donc surtout consisté à trouver la technique la plus juste et la plus adaptée au style de chaque morceau. Venant de la soul et du RnB, elle avait des habitudes qu’il fallût un peu gommer pour que sa voix soit plus en cohérence avec un style electro, plus pure, plus simple. Bella possède la puissance vocale d’une chanteuse soul ; et là, je lui demandais de faire l’inverse, de travailler en sensibilité, en émotion, plutôt qu’être dans la performance. Elle s’est très vite adaptée et elle a découvert une autre facette de sa voix qu’elle aime beaucoup. Ce projet lui permet de sortir de son « carcan » habituel et lui offre d’autres libertés. Je pense que cela permet aussi de laisser entrevoir sa personnalité sensible d’artiste, trop souvent cachée chez les chanteuses par des performances vocales plus impressionnantes que touchantes.

BELLA : Quand elle a écrit les chansons, Audrey a mis dedans toutes ses influences et elles sont très larges : pop, electro, rock, bigband, trip hop…Tout cela s’est mélangé avec le savoir-faire de Jules de Gasperis, qui a su parfaitement coller à ses attentes en y ajoutant son talent et ses influences personnelles. Nous avons ainsi pu réaliser un répertoire complet qui offre des titres à la fois différents de par les influences variées qu’ils contiennent, et à la fois très cohérents dans les arrangements et l’univers. Ce projet est le reflet d’un vrai travail d’équipe. Choisir les cinq titres de l’EP n’a donc pas été facile ! Nous avons essayé de proposer des titres qui montrent un large panel de ce que l’on fait car nous essayons de ne pas nous imposer de limites et nous aimons tester plein de choses !

ADA : Donc, un futur album ? Et la recherche de labels ?

BELLA : Oui, bien sûr ! Les titres sont prêts ! Nous cherchons un label pour nous soutenir et développer le projet… En attendant, nous nous préparons pour les premiers concerts qui auront lieu cette année.

AUDREY : Bella a une âme de chanteuse et ce répertoire lui correspond tout à fait. J’espère qu’il pourra la faire connaître au plus grand nombre… Quant-à moi, en tant qu’auteure et compositrice du projet, je serais bien sûr aux anges si un jour, en allumant la radio, je découvrais un de mes titres à l’antenne, simplement parce que toute création a vocation d’être exposée plutôt que de finir dans un tiroir.

ADA : Des artistes que vous admirez ? Des récents coups de cœur musicaux ?

AUDREY : J’ai une grande admiration pour Emilie Simon. Elle me touche par sa sensibilité, par la précision des sons qu’elle choisit et mélange, son esthétique qui me rappelle un peu le monde de Tim Burton, et la recherche musicale qu’on trouve dans ses albums, tous différents et avec des contenus très variés. Je me reconnais dans sa musique car elle allie des aspects très légers et lumineux avec une mélancolie qui transparait en fond, mais jamais de façon triste ou glauque. L’album « Végétal » est pour moi une référence absolue en termes d’esthétique : il offre une succession de tableaux qui me font voyager… Mais j’aime vraiment tous ses albums, sans la moindre exception.

BELLA : J’adore Nick Cave, PJ Harvey, The Smiths et Portishead... En ce moment, ma préférence va à FKA Twigs qui nous offre une talentueuse représentation de la New Age pop music.



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