Les grands slogans du rock se sont de tout temps écrits sur les murs : « Clapton is god » sur ceux de Londres au temps de la British Invasion, « No future » quelques 10 ans plus tard, sur les mêmes... Aujourd’hui, les murs sont virtuels, mais les slogans restent percutants. « Ce groupe tue », voilà ce que j’ai pu lire à propos de Chinese Army sur notre mur à lamentations, celui qui a de très grandes oreilles et à qui on confie tout. Il ne m’en fallait pas plus pour me donner envie d’écouter « Runaways », premier EP du duo parisien.
Dès les premières secondes de « The weak,the coward and the ugly », l’univers est planté, l’ambiance assurée et parfaitement assumée : nous sommes ici dans les terres du rock n roll tel qu’il pouvait s’imaginer chez Lou Reed, Iggy Pop ou Alan Vega : poisseux, physique, hanté, rythmé. Les futs claquent dans le lointain comme des tambours dans le bayou, une guitare sale et poisseuse rampe sur cette rythmique et forme un tapis sur lequel la voix se pose, légèrement étranglée. Un orgue souligne les accents au moyen d’accords hachés puis délivre un motif mélodique saturé dans les interstices. La voix serpente et monte quand la guitare grimpe dans la tonalité. Le ton est menaçant, mais pas de violence ici : l’énergie est rentrée, sourde, elle suinte de partout mais reste contenue. « Train in the night » est plus ouvert, la rythmique plus appuyée, l’orgue prend le dessus sur la guitare, mais l’atmosphère reste lourde et chargée. L’introduction de « Runaways » me rappelle le Bästard de « radiant, discharched, crossed off » mais le morceau évolue en douceur vers une construction plus proche du classic rock, la guitare pilotant le morceau à travers un paysage sinueux en accords étouffés qui se libèrent lorsque l’orgue et les percussions rentrent en lice. Le dernier titre, « Criminals », semble revenir aux sources de la musique qui a inspiré le groupe, un blues décharné, délivré ici telle une version sale et rugueuse de la musique de Spain. L’orgue, tapi dans l’ombre, accompagne la jazzmaster caressée et giflée dans un même mouvement. Le morceau avance lentement, uniforme, avant que les nuages s’écartent un peu vers le milieu et que l’ambiance se réchauffe un peu. La guitare se libère vers la fin, pour délivrer des dissonances du plus bel effet.
La réussite de ce disque tient à beaucoup de choses, toutes impeccablement maitrisées. Une volonté de cohérence dans la construction d’un univers tout d’abord, certes référencé mais parfaitement exécuté ; La maitrise du son et de l’interprétation ensuite : le disque sonne, point. Pourtant, le duo l’a enregistré seul, en appartement, avec des samples de batterie, une guitare et un ampli, un orgue et un micro chant. Economie de moyens, réussite totale du résultat. Enfin, le chant, clé de voute du projet, l’élément par lequel tout se soude ou se délite : chez Chinese Army, le chant est assuré, vivant, en un mot, totalement réussi.
Les quatre titres passent en un éclair, la parenthèse se referme après le dernier accord de « Criminals », les terres marécageuses et toutes les créatures menaçantes qui les habitent sont aspirées dans la galette noire de ce magnifique EP, attendant la prochaine écoute pour se déployer à nouveau.