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Interview réalisée via mail juillet 2004

Mobiil existe depuis quelques années maintenant. Quel regard portes-tu sur le chemin que vous avez parcouru jusqu’à Contre Le Centre ? Notamment par rapport à Prendre L’Eau, votre premier album.

— Avec Gaël Desbois, nous travaillons ensemble depuis 1987, on a commencé ensemble dans un groupe de lycée, puis ont suivies pas mal d’expériences ensemble ou séparément sur d’autres groupes, expériences qui ont enrichies notre travail commun. Mobiil existe depuis 4 ou 5 ans, c’est notre projet principal, celui dans lequel on met le plus de choses personnelles. Prendre L’eau était une première pierre qui définissait un peu le cadre dans lequel nous allions évoluer, tant au niveau de la méthode de travail qu’au niveau des textes et de la direction musicale. Contre Le Centre a été enregistré assez rapidement après la sortie du premier album, mais il a fallut près de deux ans pour le sortir (maisons de disques, blah blah blah...). Je trouve qu’il s’inscrit dans la continuité du premier album même si le propos est plus précis, je pense qu’on a un peu mieux piloté le navire, même si il y a encore beaucoup de chemin, je pense. On a essayé des choses un peu plus mélodiques, parfois plus légères et au final il s’avère que l’album semble plus sombre, c’est une histoire de contraste .

Contre Le Centre peut effectivement être perçu comme un album sombre. Une partie des textes dépeint l’aliénation moderne, etc… La palette sonore reste dans des tons chauds mais qui prennent assez peu la lumière. J’ai l’impression que Mobiil joue beaucoup avec le clair obscur finalement.

— C’est un album sombre mais avec un mouvement vers le haut, dans chaque texte, il y a au moins une phrase qui tente de s’extirper vers quelque chose de plus grand et de plus clair, de positif. Prendre un point de départ sombre est profondément optimiste, ça ne peut aller que mieux. Rien ne me touche si il n’y a pas le petit truc qui tord à l’intérieur, qui montre qu’on est pas dupe. On peut trouver ça dans n’importe quelle musique, la bossa, par exemple, est magnifique pour ce mélange de douleur souterraine et de sérénité absolue. Par contre la musique qui se dit festive, me déprime à un point pas possible, car tellement sûre d’elle même, c’est un affreux cul de sac. Musicalement notre album est probablement plus contrasté que le premier, des reflets sombres sur des sons clairs ou le contraire, mais ces reflets sont peut-être encore trop doux, on forcera sûrement le trait sur le troisième album, tout ça mûrit doucement .

Autant musicalement je suis assez d’accord avec toi sur le fait que Contre Le Centre soit dans la continuité de Prendre L’eau autant au niveau des textes je trouve qu’il y a une réelle cassure. La forme est beaucoup plus libre, tu joues beaucoup plus avec la langue. Parfois ça se rapproche presque du hip hop ("les démineurs démunis démissionnent"...)

— Je ne me rend pas bien compte. Pourtant le texte dont tu parles [Ndlr : Dans Le Mur] est un vieux texte qui a faillit être sur le premier album, vraiment je ne sais pas s’il y a vraiment cassure à ce niveau là, plutôt une précision du propos. Si la forme semble plus libre peut être que cela tient à la manière de placer les textes vocalement. J’essaye doucement de me débarrasser de trop de jeux avec les mots, même si parfois cela peut donner des éclairages différents à une même phrase et que ça me semble important, mais j’aimerais aller vers quelque chose de plus sec et de plus direct. Mais la langue française nous tend tellement de perches qu’il est difficile de ne pas s’amuser avec .

Certains de tes textes abordent la société actuelle (je pense aux Grands Magasins, Discomobiil). Est ce une façon pour toi d’ancrer le disque dans l’époque ?

— J’aimerais vraiment que non, je parle de l’époque car c’est un point de départ, j’ai envie d’écrire des textes les plus larges possibles, quand ça touche à des phénomènes de société, ce n’est qu’une manière de parler de choses plus intimes ou plus universelles, par le prisme d’une expérience palpable par tous, c’est vrai qu’il y a aussi un positionnement mais il découle de la sensation particulière de sa propre place dans le monde, c’est la partie immergée de l’iceberg. Rien ne vieillit plus que les choses ancrées dans l’époque, musicalement nous essayons au maximum de filtrer les éléments qui rendraient notre musique un peu "mode". Pour les textes, ceux qui tiennent le plus la route sont les plus abstraits, les plus poétiques, j’arriverais à les assumer plus longtemps. Les textes plus sociaux sont ceux dont les gens me parlent le plus souvent, mais pour moi ils vieillissent plus vite. Le texte Contre Le Centre est un bon équilibre, j’aimerais réussir à continuer dans ce sens.

L’album est musicalement plus riche que Prendre L’eau. On retrouve Dominique A, Luc Rambo ou Christine Ott. Etait-ce une volonté de votre part d’ouvrir la palette sonore ou juste le fruit de rencontres ou d’amitiés de longue date ?

— Il y avait aussi pas mal d’invités sur le premier album, dont déjà Luc Rambo, mais la magie a encore mieux opérée cette fois ci. Tous les invités du disques sont des amis et des gens qui ont une couleur musicale particulière. On leur a donné carte blanche et cela a vraiment enrichi les morceaux. Dominique a apporté avec ses guitares un couleur fiévreuse très importante sur l’album, Christine Ott un côté aérien avec ses ondes Martenot, Luc Rambo une élégance trouble.

Vous mêlez "instrumentation classique" et machines dans vos chansons. Comment êtes-vous finalement arrivés à utiliser des machines, sachant que vous venez tout les deux d’une culture plutôt rock ?

— C’est venu suite à une période où on plafonnait en formation rock "classique" avec notre groupe précédent, le fait de se retrouver en répet avec les instruments était devenu moins excitant, on se sentait à l’étroit autant pour travailler sur des structures plus complexes que pour aborder des textures sonores plus riches. Les machines ont été un déclic, elles nous ont permis de travailler un peu plus chacun de notre côté, d’essayer de nouvelles choses. Il n’y a pas d’incompatibilité entre une certaine énergie rock et les machines, il n’y a qu’à voir Suicide ou Tricky, les machines sont pour nous un moyen, jamais une fin en soi.

Contre Le Centre, plus encore que Prendre L’Eau, tend à déplacer les bords du cadre de la chanson. Est-ce dans cette direction que vous souhaitez aller ? Dans des ambiances jouant beaucoup sur un réel travail rythmique, aux arrangements soignés et aux textures sonores denses, des mélodies claires ?

— Le point de départ de nos morceaux est souvent une ambiance, un rythme, une texture sonore, ce sont ces choses que jusqu’à maintenant on a essayé d’enrichir. Ce serait intéressant si on réussissait par la suite à aller vers plus de mélodie en gardant ces atmosphères, que la chanson vienne se glisser dans la texture sonore et en même temps peut être que la suite sera plus radicale et plus épurée, on oscille souvent entre ces deux pôles, il va falloir trancher. Mais de toutes façons, tordre ce qui est évident est dans notre nature, on plie les choses pour voir ce qu’il y a derrière .

Vous collaborez, Gaël et toi, à d’autres projets (notamment avec Laetitia Shériff). Est-ce pour vous une façon d’aborder d’autres envies qui ne rentrent pas dans le cadre de Mobiil ?

— Depuis que nous travaillons ensemble avec Gaël nous avons toujours eu des projets parallèles. C’est une manière d’aborder d’autres univers, d’autres modes de travail. Chaque expérience est radicalement différente des autres et en même temps elle nourrit les autres. Nous ne faisons que de la musique, il serait probablement frustrant de ne l’aborder que sous un seul angle .

Des projets pour la suite ?

— Il y a un album de remixes de Mobiil qui sortira en décembre avec un beau casting, une tournée en Espagne en Septembre, et on recommence à composer tranquillement pour le troisième Mobiil. En France nous avons du mal à trouver des concerts. Sinon Gaël et moi tournons pas mal avec Laetitia Shériff. Gaël va jouer sur le prochain Santa Cruz. Quant à moi, j’ai récemment collaboré avec un excellent groupe de hip hop qui sort son album en septembre chez Idwet et qui s’appelle Psykick Lyrikah. Je vais rejoindre Benoît Burello pour attaquer le 3ème album de Bed qui s’annonce formidable .

Les dix albums qui t’ont le plus marqué ?

— Olivier Mellano : 10 c’est trop peu...mais bon : Robert Wyatt : Rock Bottom Tricky : Pre-Millenium Tension Radiohead : Hail to the thief Arto Lindsay : Prize Suicide : Suicide Depeche Mode : The singles Fugazi : In On The Kill Taker Cypress Hill : 1st album Benjamin Britten : Pièces pour violoncelle seul par L. Rostropovitch Pergolese / Vivaldi : Stabat Matter (s) par Gérard Lesne Arrghh plus de place pour Sonic Youth / Goo, Pixies / Doolittle, Cure / Pornography, My Bloody Valentine / Isn’t anything et Bashung / L’imprudence .

— Gaël : Neil Young : Harvest Van Morisson : Astral Weeks Bob Dylan : Blonde on Blonde Beattles : Double blanc Robert Wyatt : Rock Bottom Marvin Gaye : Let’s get it on Getz/Gilberto : featuring Jobim Isaac Hayes : Black Moses Serge Gainsbourg : Melody Nelson Pink Floyd : Dark Side of the Moon



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