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Interview réalisée par mail en octobre 2005

Tout à l’instinct. S’excusant de ne pas avoir pu répondre à toutes mes questions, Loren Chasse est pourtant très bavard. Seul ou accompagné de Glenn Donaldson, Loren ouvre les horizons et tend vers le folk ou l’abstraction selon l’humeur. Un homme simple.

Quel est ton boulot de tous les jours ?


— Je suis enseignant donc, j’ai la chance de ne pas avoir à vivre de ma musique. L’emploi du temps d’enseignant est parfait et me permet d’avoir beaucoup de temps libre pour faire ce que je souhaite.

Tu réalises tes albums solos sous ton nom et sous " Of ". Quelles sont les différences entre ces deux projets ?

— Les disques que je réalise sous mon propre nom représentent mon obsession de mon environnement matériel, physique. Il y a une palette particulière de bruits qui excite constamment mon oreille : sifflements, chuchotements, crépitements et autres grésillements. Je suppose que ces disques sont motivés par mon grand intérêt pour le son et sa matérialité. J’aime les bruits qui sont si intenses (pas forcement violent ou agressif) qu’ils semblent tomber littéralement des enceintes sur le sol. Sur scène mon but est de créer une relation presque intime avec l’auditeur, sans forcément passer par un ampli. J’aime que le son se loge dans le creux de l’oreille de chaque auditeur. Et même si les enregistrements ne donnent cet effet là directement, j’essaye malgré tout de recréer cette relation avec l’auditeur, de lui rendre mes sons familiers et de créer un imaginaire. Même si j’ai utilisé quelques sonorités musicales dans " The air in the sand " ou " Hedge of nerves ", ce sont plus ou moins les symptômes des expérimentations que j’aime faire lors des field recordings utilisant mes instruments comme de véritables outils pour provoquer les qualités acoustiques de tel ou tel endroit. Par exemple, pour " The air in the sand ", je me suis rendu près de " Cascade Mountains ". Il y avait un mur, au trois quart effondré, et au dessus de grandes lignes à haute tension. Et j’ai remarqué que ce mur reflétait le son des mes claquements de main d’une drôle de façon. J’ai pris une flûte alto et quelques carillons que j’avais dans mon sac à dos et j’ai joué avec cette acoustique. En même temps la pluie tombait sur les lignes haute tension donnant un fort crépitement, comme si les molécules grillaient autour de moi. Dans de telles situations, j’aime utiliser différentes méthodes d’enregistrement (sur plusieurs appareils) et j’utilise aussi des retours amplifiés (avec de petits amplis à piles). Ca me permet, après coup, de ré enregistrer et de commencer mon travail de composition et de mixage sur un matériel brut. Bien sur j’utilise des logiciels pour parfaire mes idées, mais j’essaye de plus en plus de minimiser mon temps devant l’écran, et ainsi de mettre plus d’énergie dans la création de field recordings. En ce qui concerne " Of ", ce projet exprime mes obsessions musicales. Alors que mes travaux sous mon propre nom représentent plus ou moins l’enregistrement d’un son dans un lieu précis, " Of " est beaucoup plus le fruit d’un travail de mon imagination sur des instruments plus traditionnels. Je pense que " Of " est plus obscur que " The Child Readers ", " Thuja " ou " The Blithe Sons ", car c’est la musique que je fais seul. Nos moments les plus durs et tristes sont souvent ceux où l’on est livré à soi même, sans l’appui de quelqu’un d’autre. Dès qu’il y a une relation entre deux humais tout s’éclaircit.

Tu sembles avoir une relation particulière avec Glenn Donaldson.


— Nous sommes amis depuis près de dix ans. Il m’a vu une fois joué de la batterie avec un groupe qui s’appelait " Ohm aRevelator ". Il est venu me voir, en me demandant si j’étais intéressé de jouer avec lui, Steven R Smith et Rob Reger. Ils venaient de former un groupe, " Mirza " . Ils voulaient faire quelque chose de plus calme. C’est devenu " Thuja ". Peu après j’ai commencé à jouer de la batterie dans " The Knit Separates " avec Glenn et Jason. Du coup Jason et moi sommes devenus amis et on a fait pas mal de camping. Forcement nous campions avec nos instruments, dans de sombres forets, des grottes, des canyons, des écoles en ruines, des taquieras etc…de la musique itinérante en quelque sorte. La plupart des disques furent enregistrés dans mon van. On mixait le disque quand on rentrait en ville et Jason enregistrait même quelques voix parfois, assis dans le siège arrière. De la même manière, les enregistrements de " The Blithe Sons ", sont le fruit de nos sorties communes avec Glenn le long des cotes nord et du mystérieux arrière pays de la Californie.

Justement que représente pour toi les field recordings ?

— J’aime entendre un endroit dans un enregistrement, un environnement ou une situation physique. De même toute la musique que je créé est inspirée par un endroit à un moment précis. Je ne pense pas pouvoir faire ma musique dans un environnement stérile comme un studio. Mais bien sur une pièce peut dégager autant d’atmosphères qu’une grotte ou qu’un bunker en ruine en haut d’une falaise.

Il y a une sorte de mythe aujourd’hui autour du label " Jewelled Antler Collective ". Que représente t il pour toi ?


— Je ne sais pas trop comment est né cet espèce de mythe autour du label. Glenn et moi venions juste d’enregistrer " Dirt and Clouds " de " The blithe Sons ". On l’a mis sur un CDR et fait une jolie pochette. Je suppose que nous avons réalisé que le CDR avait le potentiel pour supplanter la cassette. Les gentils garçons de Aquarius Records ont vendu ce disque pour nous et nous ont encouragé à continuer. Nous avons donc poursuivi avec " Waves of Grass " et peu après Jason et moi avons fait " Boy on a cliff ". On sentait qu’un label ne sortant que des CDR était une bonne idée. Le problème du surplus était résolu. Nous faisions un CDR quand quelqu’un en voulait un. Et puis chaque disque était unique avec son propre artwork fait à la main, et cela nous a beaucoup plu. Je pense que tous les gens dont la musique est une véritable passion, apprécient beaucoup l’immédiateté de la musique faite de cette façon. Avec Glenn, nous avons commencé à écouter de la musique venant des quatre coins du globe (Nouvelle Zélande, Finlande ou Italie) et toute cette sous culture semblait prendre forme, où chacun sortait la musique de l’autre sur ces CDR labels. Aujourd’hui il y a de " vrais " labels qui nous supportent. Mais Jewelled Antler est très spécial pour nous, car c’est en quelque sorte, notre biographie. Les disques nous rappellent tant de moments et d’événements de notre vie. Et l’artwork est aussi important que la musique. La plupart du temps nous choisissons une image qui représenterait la musique que nous voulons créer et nous composons ensuite. C’est vraiment génial de laisser son imagination prendre le pas sur le reste, surtout quand tu as de tels compagnons qui sont sur la même longueur d’onde. Ces personnes sont des amis avec qui je partage des impulsions et des obsessions. Par exemple j’ai adoré rencontré les gars en Finlande et faire de la musique avec eux. Du coup Jewelled Antler est un peu mon label aussi. Mais je crois que Glenn et moi sommes de plus en plus contents de laisser d’autres labels sortir nos disques. Au début, c’était très important car nous pouvions aussi sortir les disques d’autres artistes que nous aimions, dans d’autres parties du monde. Depuis de nombreux labels se sont investis et sont heureux de nous soutenir. Je crois que je ne suis pas du tout intéressé par le côté business d’un label. Il y a des années maintenant, j’avais mon propre label Unique Ancient Tavern que j’utilisais exclusivement pour sortir mes disques. Unique Ancient Tavern est désormais le nom que je donne à l’endroit où j’enregistre, peu importe où. C’est le nom de mon studio.

Comme beaucoup d’artistes, au même état d’esprit, tu es très prolifique. Est-ce un besoin ?

— Je ne dirai pas que sortir des disques est un besoin. Maintenant que certaines personnes semblent aimer ma musique, c’est devenu plus facile de sortir des disques, car on m’offre plus de possibilités de les sortir. Ce qui me plait vraiment dans le fait de sortir un disque, c’est la création musicale, ainsi que la création de l’artwork. C’est un réel plaisir. Ce dont j’ai vraiment besoin, c’est de jouer de la musique avec des amis, d’aller le faire dehors. Et d’écouter les paysages, pas forcement tout le temps avec un micro.

Quels sont tes futurs projets ?


— Nous allons sortir avec Jason un nouveau " The Child Readers " intitulé " Music Heard Far Off ". Bien que Jason vive à Berlin, nous avons pu nous voir plusieurs fois et compiler nos enregistrements. Par contre je ne sais pas quand et où il sortira. Avec mon amie Christine (qui a joué dans Skygreen Leopards avec Glenn), nous venons de terminer un disque, et nous répétons actuellement pour donner quelques concerts. Glenn et moi avons presque terminé un double " The Blithe Sons ", moitié chansons, moitié instrumental. Il y a aussi un nouveau " Coelacanth " qui sera agrémenté d’un DVD, tourné par Keith Evans qui a réalisé des images avec nous lors de certains concerts. Et puis quand j’aurai le temps, je vais commencer à rassembler tous les enregistrements que j’ai pu faire cet été en Estonie, Finlande et en Angleterre. Je pense qu’il y aura matière à sortir un nouveau " Of ".

Qu’écoutes-tu en ce moment ?

— Roy Harper plus que tout. Ensuite une grande anthologie de l’harmonica, Xiu Xiu, The Shitty Listener Project de Jason Honea, Andrew Chalk, Steve Roden, la musique folklorique estonienne, la bande originale de Three Women, les enfants qui hurlent…



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